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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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une civilisation est si opulente, le nécessaire devrait être plus facile à acquérir, le travail avoir plus de valeur. »
    Il n’avait pas envie de continuer. Partir vers de nouveaux horizons ? Peut-être rencontrerait-il enfin sa véritable destinée. Mais avant de tirer sa révérence il lui fallait quadriller le quartier de l’Hôtel de Ville, déceler des galeries voûtées et accomplir ce qui devait être accompli.
    Il allait rejoindre le pont Marie quand il perçut un bruit, le premier qui ne fût pas celui de ses pas. C’était un son régulier, étouffé, prudent. Il s’arrêta. Silence. Il poursuivit sa marche, le son se répéta. Il couvrit une dizaine de mètres et stoppa brusquement. Le bruit cessa, mais en retard : son suiveur n’avait pu freiner à temps.
    Il fit volte-face.
    — Vous !
    Une ombre s’étirait sous un réverbère.
    — Vous ne vous y attendiez pas, hein ? Pourtant il y a un bon moment que je vous ai à l’œil, Amadeus. Ça ne titille pas votre curiosité de savoir comment je vous ai percé à jour ?
    — Je vous écoute.
    — Je vous avais remarqué quai Voltaire. Votre dégaine extravagante m’amusait, sans plus, on voit tant de toqués le long de la Seine. Et puis, en feuilletant un lot de reliés dépareillés achetés l’année dernière à Moizan, j’ai vu le frontispice du tome III, un portrait de l’auteur accompagné de ce quatrain :
    Je cours toute la terre
    À travers les ans
    Et parmi tant de lieux
    Je ne suis qu’un passant
    — Où voulez-vous en venir ? Ce serait mieux d’aller droit au but.
    Une main lui tendit un in-douze ouvert à la première page :
    Voyages d’Aimé Thoars, gentilhomme viennois
    ou Le Disciple de Théopompe de Chio
    vers la Vie éternelle
    Chez Didot l’Aîné.
    M. DCCCXII
    — Je ne comprends pas.
    — Ne faites pas le malin, Amadeus. J’ai effectué des recherches poussées et j’ai la certitude que l’auteur et vous ne faites qu’un. J’avoue que j’ai reçu un choc, je me suis dit que j’avais des hallucinations. Un vrai miracle, n’est-ce pas ?
    — Un conte de fées.
    — Ne niez pas, Vous ressemblez trait pour trait au portrait de la gravure sur bois d’Aimé Thoars. Vous ne dites rien ? La denrée rare que vous convoitez est alléchante. J’aimerais y goûter moi aussi, et vous allez m’en donner le moyen, sinon…
    — Sinon quoi ?
    — Soyez raisonnable, Amadeus, je ne vous demande que le contenu du recueil rédigé par Margot Fichon, mentionné dans votre œuvre Le Disciple de Théopompe de Chio . Vous avez tenté de récupérer les vélins chez Larcher, hein ? Je le sais, j’ai assisté à votre manège. Vous l’avez englué comme une mouche, cet imbécile, avec votre jeu d’échecs.
    — Imaginez ce qui vous chante, je n’en ai cure.
    — N’avez-vous pas écrit avoir vu autrefois passer les charrettes du Tribunal révolutionnaire ? Vous avez également fréquenté le peintre Gros, narré les réjouissances qui ont célébré la naissance du roi de Rome et vous séjourniez à Moscou quand Rostopchine a fait incendier la ville afin de chasser les Français. Vos descriptions de la Grande Armée enlisée dans les neiges sont si réalistes qu’elles font froid dans le dos. Vraiment, vous en avez vu des choses, cher Amadeus, et cela sans prendre une ride.
    — Il suffit d’étudier des livres d’histoire. Je me distrais beaucoup en laissant croire aux naïfs ce qu’ils veulent entendre, répondit Amadeus.
    Ses lèvres souriaient mais ses yeux restaient vigilants.
    — Écran de fumée ! Vous ne comprenez rien ou quoi ? Méfiez-vous, on ne me coupe pas facilement l’herbe sous le pied ! Allez, crachez le morceau !
    Amadeus vit le couteau pointé sur sa poitrine. Il se laissa tomber à genoux, ses deux mains saisirent les chevilles de son agresseur qui s’étala sur les pavés de tout son long. Mais avant qu’il ait pu le maîtriser, l’autre s’était jeté sur lui à califourchon et lui martelait la figure de ses poings. Amadeus glissa sur le côté. Il sentit contre sa tête le pied métallique d’un réverbère. D’un suprême effort il empoigna une touffe de cheveux et tira de toutes ses forces. Les adversaires soudés l’un à l’autre roulèrent jusqu’à la limite du quai. Serpent métallique secoué de remous, la Seine charriait des bouchons de liège, des branches mortes et des remorqueurs dont les sirènes émettaient de brefs jappements.
    Il y eut un

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