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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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soûlographe, j’ai sifflé en une nuit la bouteille de brandy que vous m’aviez offerte au jour de l’An ! Heureusement M. Chaudrey m’a prescrit un remède. J’vous jure que j’suis pas près de casser des noix avec les dents !
    — Ouais, dites ça à mon fils, lui, il se cure les crocs avec un couteau, bel exemple pour les gosses !
    Le quidam changea de trottoir et se planta devant l’inscription en lettres noires qui ornait la vitrine de la librairie :
    LIBRAIRIE ELZÉVIR
    Fondée en 1835
    L EGRIS M ORI P IGNOT A SSOCIÉS
    Ouvrages anciens et modernes
    « Legris, un nom familier… Mais oui, un habitué des quais ! »
    — Bonne journée, madame Ballu !
    — Vous itou, madame Pignot !
    Le quidam tourna légèrement la tête.
    « Pignot, Pignot… Ce nom est écrit dans le carnet noir de Philomène Lacarelle !
    Un calepin noir fut rapidement feuilleté.
    Mardi 4 janvier . Euphrosine Pignot m’a prêté un Traité des confitures qui date de mon arrière-grand-mère. Je dois le lui rendre très vite, elle l’a emprunté à son fils.
    « Son fils ? Serait-ce l’un des associés de la librairie ? »
    Jeudi 6 janvier . Rendu le Traité des confitures à Euphrosine Pignot. Nous avons trinqué chez Moraille…
    « Mirette a mentionné une grosse bonne femme qui trinquait avec Philomène chez Moraille … Si Philomène Lacarelle a rendu le Traité des confitures le 6 janvier à cette Euphrosine Pignot, comment se fait-il qu’il se soit trouvé rue Pierre-Lescot le 10 ? Aurait-elle confondu avec un ouvrage à la couverture similaire ?… Tout se tient ! Mori, un Asiatique, Legris et Pignot, ses associés, la grosse bonne femme, Euphrosine Pignot, l’amie de Philomène ! »
     
    Samedi 29 janvier
     
    Victor gara sa bicyclette sous l’appentis de la cour du 18 bis et, sûr de trouver son beau-frère, s’apprêta à pousser la porte de la librairie et à crier : « Bonjour Jonathas ! » tant ce nom l’obsédait.
    C’était fermé, pourtant les auvents avaient été ôtés. Surpris, il ouvrit avec son jeu de clés. La boutique était vide. Il appela Kenji sans obtenir de réponse. Inquiet, il décida de monter au premier. Ce fut alors qu’il avisa une enveloppe au pied d’une chaise. Il en tira une lettre qu’il lut d’un trait.
    La sonnette le fit violemment tressaillir.
    — Ah, Victor ! J’ai cavalé. Arthur a pleuré toute la nuit, j’ai la cervelle ébréchée. C’est vous qui avez enlevé les auvents de la vitrine ?
    — Non, je suppose que c’est Kenji.
    — Qu’est-ce qu’il y a, vous êtes souffrant ?
    Victor lui tendit la lettre. Joseph la déchiffra à voix haute.
    À l’attention de madame Euphrosine Pignot, messieurs Mori, Pignot, Legris. Aimez-vous les devinettes ? Décryptez celle-ci, vous n’en serez pas pour vos frais.
    Qui habite au 36 bis , rue Fontaine ? Une charmante petite femme rousse et une adorable fillette de quelques mois prénommée Alice. Qui loge au 31, rue de Seine ? Je vous le donne en mille : une avenante Eurasienne et ses deux enfants en bas âge. Que risque-t-il de leur arriver ?
    Cela dépendra de votre bonne volonté. Suivez mes instructions à la lettre.
    L’un de vous quatre devra se présenter demain, dimanche 30 janvier, entre dix heures et onze heures du matin au premier étage, aile nord, du musée des Arts et Métiers, dans la salle Filature et tissage. Il devra impérativement être seul et me remettre le recueil que Philomène Lacarelle a rendu par erreur à Mme Pignot. J’ose croire que vous désirez voir grandir votre progéniture, je me trompe ? En aucun cas n’avertissez la police. On vous a à l’œil.
    Joseph laissa échapper le papier. Il était blême. Victor sentit son cœur sauter dans sa poitrine.
    — Je vais le buter, grinça-t-il, je vais buter cette ordure.
    Le front strié de rides, les mâchoires raidies, il ramassa la missive.
    — Elle n’était pas là à l’ouverture, dit Joseph d’une voix blanche, sinon Kenji l’aurait remarquée.
    Victor se passa nerveusement les doigts dans les cheveux.
    — Comment l’assassin a-t-il pu savoir que nous détenions cet ouvrage ? Je me suis comporté en imbécile.
    « Je ne vous le fais pas dire », songea Kenji, immobile dans l’escalier à vis. En se levant de bonne heure, il avait découvert l’enveloppe non cachetée. Après avoir parcouru le message, il l’avait remis en place, la gorge sèche, incapable de se mouvoir.

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