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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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couloir.
    Les souliers bruns s’extirpèrent des lieux d’aisances, entrèrent dans la cuisine et la parcoururent en tous sens. L’ouvrage n’était pas emprisonné entre les deux presse-livres sur l’étagère chargée de bouquins. Était-il enfermé dans un meuble dont elle avait planqué la clé ? Déjà, la démarche lourde, Philomène revenait. Elle se pencha sur le chaudron et en racla le pourtour. Il y eut un bruit ténu.
    Le premier coup s’abattit sur sa nuque. Elle eut l’impression de choir dans un puits à l’odeur délicieuse.
    Le second coup fit apparaître un militaire à califourchon sur un palefroi nimbé de lumière.
    — Mon général…
    Le troisième coup la rendit muette à jamais.
     
    Les minutes étaient comptées, où chercher ? La desserte ne supportait que des pots vides, des assiettes, une marmite. Les entrailles du bahut débordaient d’un fatras de feuillets. Là, sur le tabouret, cet objet rectangulaire enveloppé de papier marbré bleu et rouge !
    Non, ce n’était qu’un traité anonyme sur la façon d’apprêter les confitures, publié en 1755, ayant le format et l’apparence du recueil tant convoité et protégé par un papier similaire. Le tabouret fut renversé rageusement tandis que le traité valsait sous la table. Un pot de câpres orné d’une étiquette Janvier 1898 dégringola à terre et explosa.
    À l’étage flottaient des relents douceâtres. Les deux pièces recelaient des chaises empilées, des amas de bouquins dépiautés, un canapé, un guéridon semé de bibelots. Punaisés aux murs des chromos aux couleurs criardes représentaient un officier en uniforme fantaisiste, cheveux, barbe et moustache blonds, caracolant sur son cheval. Une couche de poussière recouvrait le plancher où gisaient moutons et mouches mortes. Au rez-de-chaussée, le décor de la chambre à coucher fut bouleversé en vain.
    Dans la cuisine, des cabas suspendus sous la pierre à évier accueillirent les pots de confitures encore tièdes rangés sur la table et d’autres disséminés çà et là. Un serre-livres les rejoignit ainsi qu’un carnet noir enfoui au milieu d’une corbeille garnie de pelotes de laine.
     
    — Ayez pitié d’un pauvre aveugle ! Ils s’en foutent du pauvre aveugle, maronnait le père Mirette. Tous des mécréants, ils ont perdu la foi et les rares qui fréquentent la maison du bon Dieu, c’est des avaricieux !
    À moitié dissimulé par des poubelles regroupées rue Pierre-Lescot, le père Mirette évaluait sa recette à la lueur d’un réverbère. Les vêpres : un échec complet, en revanche la récolte des troncs s’était avérée juteuse.
    — Tu vois, Mirette, faut toujours prendre aux mots les proverbes : « Besognons, Dieu besognera. » Merci Jeanne d’Arc 2 . Au moins, y a une âme qui veille sur toi, là-haut.
    Il fourra les piécettes au fond de ses poches et distingua une forme encapuchonnée, les bras tendus sur deux cabas. Il se mit à cavaler à ses trousses en braillant :
    — Ayez pitié d’un pauvre aveugle ! Qui donne aux pauvres prête à Dieu !
     
    Occire cette bonne femme avait été une erreur.
    « Bah ! Ce qui est sans remède doit être sans remords. Ce qui est fait est fait… Qui a écrit cela ?… Ah oui ! Shakespeare. »
    Un, deux, trois, quatre. Avec la régularité d’un métronome, les souliers bruns arpentaient le plancher sans se soucier d’en ménager les lattes.
    Un, deux, trois, quatre. Les pas cadencés traduisaient une rage contenue. L’affaire s’engageait mal. À cette heure avancée, le faux aveugle n’aurait pas dû se trouver rue Pierre-Lescot.
    Le carnet noir subtilisé dans la corbeille à tricot de Philomène Lacarelle fut dûment feuilleté. Des pattes de mouche ! Des listes de courses ! Des confidences de vieille fille ! Du vent !
    31 décembre . Réveillon chez Moraille , aux Halles. Bonne ambiance. Soupe à l’oignon.
    Mardi 4 janvier . Euphrosine Pignot m’a prêté un Traité des confitures qui date de mon arrière-grand-mère. Je dois le lui rendre très vite, elle l’a emprunté à son fils.
    Mercredi 5 janvier . M. Moizan m’a dégoté de la matière première. Ses prix sont élevés, mais je peux me le permettre, c’est si rare les bonnes trouvailles ! Gagné un franc à l’écarté contre Amadeus. Si j’avais vingt ans de moins, j’en ferais mon quatre heures. Il a beau être étrange, quelle prestance ! Il est aussi attirant que mon défunt

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