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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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d’administration.
    — Je sais, il a fait une incursion à la librairie, il redoute d’être imprégné de l’odeur des canassons.
    — Tu aurais pu m’en parler. Serais-tu encore jaloux ?
    — Jaloux, moi ? Jamais, ma jolie.
    Elle le considéra avec suspicion et reprit d’un ton badin :
    — Au-delà des écuries où ils logent provisoirement se dresse le dépôt des marbres. Maurice a rencontré Henri Martin, Jean-Paul Laurens et Rodin. À l’heure du déjeuner, Maurice a suivi ce dernier sans oser l’accoster. Il a noté qu’il se sustente chaque jour dans le même restaurant aux abords de l’Alma. Le plus amusant, c’est que le gargotier a des prétentions artistiques. Son rêve est d’ouvrir une galerie de tableaux.
    — Laumier est un malin, je te parie qu’il s’associera à lui et fera concurrence à Ambroise Vollard.
    — Tu as un don de clairvoyance, c’est exactement ce qu’il a en tête. Je suis choquée qu’il ait renoncé à une vraie carrière en peignant des croûtes et qu’il envisage maintenant de s’adonner au commerce !
    — Si telle est sa vocation, il…
    Victor se détourna, couvert d’une décoration lactée.
    — Inutile de frotter, mon Toto, c’est indélébile.
    Victor grimaça, tint le bébé à bout de bras et le déposa délicatement dans son berceau.
    — Il ne te reste qu’à ôter cette élégante veste de pyjama à raies bleues.
    Torse nu, il lorgna sa femme d’une mine gourmande. Elle repoussa l’édredon.
    — Quelqu’un t’a-t-il jamais révélé à quel point tu es attirant ? Ma parole, tu es de plus en plus musclé, c’est à force de charrier tes appareils photo ? Tu vas attraper froid. Viens te réchauffer près de moi.
    — Je serai en retard. Joseph ronchonnera. Il me traitera de tire-au-flanc.
    — Il aura raison. Mais si tu me résistes, prévois des représailles.
    Il envoya valdinguer ses pantoufles, se débarrassa de son pantalon, se glissa sous le drap.
    — C’est étrange, tu n’allaites plus et tes seins n’ont pas diminué de volume. Tes hanches sont bien larges et ton ventre bien douillet.
    — C’est pour mieux t’enjôler.
    Il l’enlaça, une mèche de cheveux chatouilla son épaule.
     
    Adossé au parapet du quai Saint-Michel, Amadeus tirait sur son brûle-gueule en regardant s’écouler le flot des piétons à l’heure où Paris mange son pain. Vieux, jeunes, purotins usaient leurs semelles pour rejoindre leurs lieux de labeur après un repas à la va-vite chez un débitant d’arlequins de la Maube. Lorsque des grisettes le doublaient, cornet de frites à la main, il jaugeait leurs appas.
    « En somme, se dit-il, tous ces gens tournent en rond de leur naissance à leur mort, ils bâfrent, se tuent au travail, dorment, font l’amour, des enfants. Et moi qui depuis si longtemps ne m’étais pas mis sous le bec un petit museau féminin, j’ai de la chance d’exercer ce métier de saltimbanque, il m’a permis d’entrer en relation avec une partenaire qui, comme moi, n’éprouve pas l’envie de jacasser. »
    Elle avait dépassé la trentaine, elle se nommait Adeline Pitel, elle était blonde et charnue, un Rubens vêtu sobrement, ce qui ne nuisait en rien à sa sensualité. Ils avaient lié connaissance quai Voltaire. Son érudition, sa ressemblance avec l’une de ses anciennes concubines l’avaient séduit.
    Assis sur une caisse d’emballage, un accordéoniste distillait une ritournelle de Béranger, les notes grêles de la mélodie évoquèrent à Amadeus le récital d’un quatuor à cordes auquel il avait assisté à Vienne en compagnie d’une jeune femme dont il était éperdument épris. Il se pencha sur la rambarde du pont et contempla la Seine.
    — Mary, murmura-t-il, tu me manques… Quelle erreur a été la mienne…
    Ses pensées le ramenèrent vers Adeline Pitel. L’union s’était produite à la fin d’une partie de dames. Elle avait sciemment perdu avec un je-ne-sais-quoi dans les yeux qui avait éveillé son désir. Une rapide pression des doigts sur sa main alors qu’elle lui tendait un verre de Bénédictine se mua en baisers, puis en caresses, puis en étreintes, et quand sa robe et ses jupons tombèrent à ses pieds, la découverte d’une jarretière de soie mauve enjolivée d’un gros chou qui sentait la vanille renversa les digues de la bienséance.
    Cela remontait à six mois. L’acte consommé, Adeline se rhabillait et redevenait une femme correcte. Il savait que

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