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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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cette escapade érotique ne serait que partielle et de courte durée. Il aimait sa façon directe de lui rappeler sa situation sociale de célibataire contrainte d’assumer seule les rigueurs de l’existence. Elle avait lu les Grecs et les classiques et son talent de miniaturiste égalait celui d’un copiste médiéval. Avec elle – c’était la première fois depuis longtemps – il était à l’aise, il n’avait pas à craindre les conséquences d’une indiscrétion. Elle appartenait à cette catégorie de femmes soucieuses d’afficher une apparence de respectabilité.
    Il cura sa pipe et chemina vers la cathédrale.
     
    Eût-on appris à Adeline Pitel que, selon l’étymologie, parvis signifie « paradis » en latin ecclésiastique, elle se fût contentée de hausser ses épaules drapées d’un châle funèbre. En ce qui la concernait, le paradis siégeait chez le papetier de la rue d’Arcole qui, jadis, avait été son amant, et se cantonnait désormais au rôle d’associé commercial. Il écoulait en effet les cartes postales et les signets que son ex-dulcinée enjolivait de pieuses devises, calligraphiées à l’encre de Chine, surchargées de cloches, de rosaces et d’angelots joufflus.
    Une voiture à quatre chevaux franchit le pont au Double et déversa sa cargaison de touristes étrangers qui orientèrent aussitôt leurs lorgnettes sur les gargouilles coiffées de neige, tandis que des camelots proposaient sous le manteau aux messieurs des dépliants photographiques de sujets galants.
    Adeline Pitel s’engouffra rue du Cloître-Notre-Dame. La cathédrale dominait de ses tours une forêt de cheminées et de toitures en zinc jalonnées de corneilles. Les porches décrépis résonnaient de l’écho de tout un univers industrieux. Sur le pavé gras, des gamines sautaient à la corde. Des ménagères gravissaient des escaliers branlants et s’apprêtaient à cuire le fricot familial.
    La jeune femme bifurqua dans un corridor sinueux encaissé entre des hôtels du XVII e  siècle. La rue Chanoinesse, épargnée par l’éventrement du quartier à la fin du Second Empire, exhibait quelques échoppes miteuses, dont la cordonnerie de son paltoquet de neveu Ferdinand.
    — Naturellement, c’est fermé. Penser que ce fainéant revendique la recherche de la perfection dans la forme ! grommela-t-elle en jetant un coup d’œil en biais sur la boutique peinte en blanc sale où s’inscrivait sur les carreaux :
    On fabrique et on répare les souliers.
    « Et il a le culot de me rebattre les oreilles avec ses théories insipides : “L’on peut être un artiste en sciant du bois ou bien en construisant un mur, on peut être un artiste en faisant n’importe quoi pourvu que l’on donne à son œuvre le maximum d’harmonie et de beauté.” Non, ce qu’il faut entendre ! Moi, je suis une artiste, mais lui, tout ce qu’il a récolté, c’est d’être un bouif chez qui on ne met les pieds qu’à la toute dernière extrémité de la semelle ! »
    Elle entra au numéro 10 au moment où en émergeait un locataire hirsute au nez proéminent, un certain Pierre Trimouillat qu’en dépit de sa politesse elle n’appréciait guère.
    « Ça se fait appeler poète, mais ce n’est qu’un budgétivore. Ce n’est pas des cheveux, qu’il a, c’est une tête-de-loup pour déloger les araignées ! On comprend qu’il ait l’air plus quinaud que Ferdinand ! Jolis individus, un rimailleur porté sur le jus de la treille et un ressemeleur de cothurnes. Des chiffes molles, oui ! Ce Joachim Du Bellay, qui a passé l’arme à gauche depuis belle lurette de l’autre côté de la rue, appartenait sans doute à la même engeance ! Ah, les hommes ! Mon prétendant actuel a l’allure d’un conspirateur, mais je ne peux pas me plaindre, il ne s’incruste jamais et me donne du plaisir. Vite, préparons notre nid douillet pour l’accueillir. »
    1 - Inspecteur des quais, fonctionnaire de la Préfecture.

Chapitre VII
    Jeudi 13 janvier
     
    Euphrosine Pignot resserra les pans du manteau en forme de rotonde qu’elle avait passé des soirées à se coudre d’après un patron décalqué dans le Journal des demoiselles . Le père de sa bru, M. Mori, n’affirmait-il pas que « nier son âge, c’est rajeunir » ? Son cœur lui remontait dans la gorge. Depuis qu’elle avait découvert sa méprise, elle n’avait qu’une idée, réparer l’erreur au plus vite, récupérer le Traité des

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