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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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seront inscrits le nom et le domicile du vendeur et la nomenclature des livres acquis. Les paiements se feront chez le vendeur et… »
    — C’est une obligation difficile à respecter, monsieur ! l’interrompit Amadeus.
    Il dépassait d’une bonne tête le piqueur, qui préféra battre en retraite.
    — Bravo ! Vous nous avez délivrés de l’aveugle Justice ! lança l’Odeur.
    Raoul Pérot ne souffrait plus du froid ni de l’anxiété. C’était comme s’il était bouquiniste depuis des années, au milieu de gens dévoués à sa cause au point de défier les autorités en sa faveur.
    Il s’adressa à Amadeus envers qui il éprouvait de la sympathie.
    — Où logez-vous, monsieur ?
    — À Ménilmontant, du côté des réservoirs. Mais dès que j’en ai le courage et le loisir, je traverse Paris pedibus cum jambis. C’est ici, près de la Seine, mon chez-moi.
    — Moi, c’est pareil, renchérit Fulbert Bottier, seulement je dois gagner mon pain. Je marque un prix honnête, les badauds s’arrêtent et c’est illico le conseil de famille, ça discutaille, ça négocie, l’hiver, je suis plus accommodant. Dites, monsieur Larue, vous qui êtes de la partie, vous savez peut-être ce qui se trame ? Le bruit court que l’on va prolonger le chemin de fer de la future gare d’Orléans jusqu’au quai d’Orsay par une ligne souterraine parallèle à la Seine. Non seulement on édifiera un énorme terminus à deux pas, mais on construira une station quai Saint-Michel, je tiens ça d’un ingénieur qui se ravitaille chez moi.
    — En octobre, y a eu une interpellation à la Chambre, enchaîna Le Flohic, on a été soulagés que le député Viviani prenne notre défense. Parce que, vous comprenez, si on nous boute côté Louvre, ça va être la ruine, il paraît que l’exil pourrait durer deux ans !
    — Moi, j’suis pas responsable, je coupe ce qu’on me dit de couper, pour le reste… bredouilla Gaétan Larue avec un geste vague. Un coup de main pour descendre votre cardeuse, madame Frouin ?
    — C’est pas de refus. À demain, m’sieu Amadeus, on a un tournoi à finir, numérotez vos abattis, j’ai l’intention de vous plumer ! N’vous en faites pas, malheureux au jeu… chuchota Angélique.
     
    — Es-tu certain que ce n’est pas trop chaud ?
    Tasha surveillait chacun des gestes de Victor.
    — J’ai trempé le coude dans la casserole, ne t’inquiète pas, je survivrai.
    — Euphrosine a raison, il conviendrait de lui préparer davantage de bouillie.
    — Le Dr Reynaud est de la vieille école. Il apprécie le lait stérilisé et les farines pour nourrissons, il s’oppose simplement au gavage.
    — Il nous a quand même préconisé de nous pourvoir d’un pèse-bébé.
    Victor souhaitait qu’aucun visiteur n’apparaisse à cette heure matinale et le surprenne le biberon à la main. Alice tétait goulûment, et il prenait plaisir à son appétit. Encore couchée, sa chevelure rousse défaite autour de ses joues pâles, les yeux cernés, Tasha l’observait.
    — Si tes clients te voyaient !
    — Ils loueraient mon dévouement paternel. Je dois être un cas. Quel homme accepterait ce rôle de nounou ?
    — Admets que tu es heureux de contribuer au bien-être de ton héritière.
    Il ne désavoua pas ce compliment. Quand le Dr Reynaud leur avait appris qu’une seconde grossesse serait fortement déconseillée à Mme Legris et risquait d’entraîner des complications pour elle et pour l’enfant, Victor avait chéri doublement le fruit de leur union. Il réprimait parfois un besoin intense de couver le bébé, de lui épargner la moindre contrariété. Il s’était notamment intéressé de près aux tétines en caoutchouc et au sérum protégeant les enfants du croup. Il se souvenait de sa propre jeunesse souvent ingrate et de l’hostilité de monsieur son père. Ce sentiment de responsabilité accrue le contraignait à déserter régulièrement le foyer de manière à être délivré d’un désarroi pesant.
    Il allait et venait dans la chambre, tapotant le dos d’Alice dans l’attente d’un rot.
    — Maurice est venu me voir, annonça Tasha en se rongeant l’ongle du pouce.
    — Laumier ?
    Une impression désagréable envahit Victor.
    — Je ne peux m’empêcher de les plaindre, Mimi et lui se sont exilés quai d’Orsay, en aval du pont des Invalides. C’est quasiment vide, là-bas. Rien que des maisons, des jardins et des bâtiments

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