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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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plongent la nuit dans un verre d’eau avant de la piquer à leur col pour la journée ! Tout grand joaillier soit-il, ce M. Templier de la rue Royale mériterait d’être embastillé !
    — Décidément, c’est une épidémie de folie ! À quoi rime cette allusion ?
    — Mais à la tortue-bijou ! N’est-ce pas de cela qu’il est question ?
    —  Mein Gott ! J’en ai des palpitations ! Un mécanicien allemand ! Il se nomme Diesel, retenez ce nom ! Il a inventé un moteur à pétrole où il a introduit de l’air comprimé ! Une révolution !
    Helga Becker virevoltait dans le maigre espace comme un papillon ivre. Pendant ce temps, grimpé sur la table, gesticulant devant le buste de Molière, Joseph clamait :
    — Cette conclusion est remarquable !
    « En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose… Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert… »
    — Allez-vous vous calmer ? Ma parole, ce pandémonium est l’antichambre d’un asile d’aliénés !
    Victor gara sa bicyclette, repoussa les trois femmes et força Joseph à descendre de son perchoir.
    — Je vous tiens responsable de cette scène digne d’un mélo. Estimez-vous heureux que Kenji soit absent.
    — Mais enfin, patr… Victor, rendez-vous compte, nous vivons une matinée mémorable, Émile Zola incrimine le gouvernement d’avoir condamné un innocent sur des preuves falsifiées !
    Joseph enjoignit son beau-frère de lire l’éditorial.
    — Ne me donnez pas motif à m’alarmer, monsieur Legris, intervint Mme de Salignac. J’ose espérer que vous n’éprouvez point d’inclination envers ce Juif ! Ce Dreyfus ! Quant à cet Italien, qui publie des romans obscènes, cette crapule de Zola, qu’il aille en enfer !
    — Vous de même, madame la comtesse, répliqua Joseph, fou de rage.
    — Butor ! Vous osez ! Si vous souscrivez à ce tissu de mensonges, je vous prive à jamais de ma clientèle !
    Victor acheva sa lecture, il tremblait légèrement. Il se redressa et affronta la comtesse.
    — Vous aviez boycotté cette librairie sous un prétexte fallacieux, maintenant vous avez une bonne raison de vous tenir à distance ! Nous nous passerons de vous sans regret.
    — Grossier personnage ! Vous n’avez pas une once de déférence envers mes cheveux gris et ma position sociale. Ça ne m’étonne d’ailleurs nullement, cracha Mme de Salignac, un homme capable de se marier avec une coreligionnaire de ce traître !
    Victor se figea, frappé de plein fouet par cette éruption de haine. Il avait épousé Tasha par amour, sans se soucier de ses origines, aucun d’eux ne pratiquait de religion, aucun n’empiétait sur les convictions de l’autre. Jusqu’alors, ils s’étaient contentés de se raconter leurs expériences, et de chercher des réponses à leurs interrogations sur le sens de la vie. Il se sentait d’autant plus solidaire de sa compagne qu’on l’agressait à travers ce militaire en l’innocence duquel il avait eu tort de ne pas croire davantage. Émile Zola leur transmettait à tous une belle leçon de courage. Mme de Salignac avait ouvert la voie, les masques allaient tomber.
    Joseph s’interposa, sinon Victor eût perdu son sang-froid.
    — Décampez, gronda-t-il. Ne remettez plus les pieds ici !
    Frisant l’apoplexie, Mme de Salignac agrippa la manche de Mathilde de Flavignol.
    — Retirons-nous, ma chère, cet homme est un danger public.
    — Je suis navrée, mais je ne…
    — Quoi ? Vous me refusez votre appui ? Seriez-vous du côté des Juifs et des francs-maçons ?
    — M. Legris est un homme respectable, j’ai de la sympathie pour lui et…
    — Avouez plutôt que vous en êtes entichée ! On sait qu’il y a des femmes qui, lorsqu’elles arrivent à un certain âge… Et vous, Fräulein Becker, vous aussi vous vous imaginez des choses ?
    — Vraiment, madame de Salignac ! Comment pouvez-vous penser… !
    La comtesse émit un gloussement de mépris.
    — Ça crève les yeux, vous n’avez jamais convolé.
    Helga Becker se rebiffa avec une brusquerie scandalisée tandis que deux taches rouges marbraient ses joues pâles.
    — Je suis de l’avis de ceux selon lesquels la France a commis une lourde faute en bannissant le capitaine

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