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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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crachaient à la figure les noms de Zola et de Dreyfus.
    — C’est le plus sublime discours du siècle ! répétait un squelette sanglé dans une redingote gaufrée de crasse. Démosthène l’aurait écrit s’il était vivant !
    — Ouais, ben ils ont intérêt à empêcher les patriotes de fracasser sa baraque, rue de Bruxelles, parce que c’est tout ce que ce vidangeur mérite ! riposta un mendiant aux souliers crevés et au gibus défoncé.
    Raoul Pérot ne s’inquiétait guère de ces vitupérations. En revanche, il insista auprès de Gédéon Chavagnac pour qu’il accepte de lui vendre une série de cartonnés illustrés par Tony Johannot qu’il avait affirmé vouloir liquider dans le but de caser davantage de tonneaux derrière le zinc.
    C’est ainsi que, ses bouquins poussiéreux sous le bras, Raoul Pérot avait déboulé quai Voltaire, insoucieux de l’effervescence qui s’était emparée des rues dès la parution de L’Aurore . Il aperçut son ami Victor Legris qui galopait à sa rencontre, talonné par une grosse femme hors d’haleine.
    — Ah ! Pérot, enfin vous voilà, on ne vous espérait plus, il faut absolument que je vous parle, c’est capital !
    — Que vous arrive-t-il, monsieur Legris, vous avez mauvaise mine. Ma parole, on jurerait que je suis le Messie, permettez-moi de souffler !
    Victor l’entraîna à l’écart de ses voisins, redoutant la curiosité de Lucas Le Flohic et de Séverine Beaumont. Il ordonna à Euphrosine d’aller discuter avec la tricoteuse. Elle opina à contrecœur.
    — Monsieur Pérot, j’ai besoin de votre assistance, c’est urgent.
    Il lui relata ce qu’Euphrosine lui avait conté.
    — Vous en êtes sûr ?
    — Je n’aime pas spéculer, Mme Pignot est une grande anxieuse, elle craint d’être suspectée d’homicide alors que son amie a peut-être tout simplement été victime d’un malaise.
    — Si tel est le cas, il faut avertir le commissariat d’arrondissement.
    — Avant de mettre la maréchaussée en branle, je préférerais que vous soyez présent sur les lieux pour constater les faits de visu .
    — D’accord, d’accord, je vous dois bien ça.
    Pérot consulta son oignon.
    — Le temps de repasser chez moi, retrouvons-nous dans une heure rue Pierre-Lescot au domicile de cette dame, ça vous convient ?
    — À merveille, bien que je n’éprouve aucun enthousiasme à me plonger de nouveau dans une histoire tortueuse, répondit Victor, partagé entre excitation et inquiétude.
    Il alla discrètement prévenir Euphrosine.
    — Je compte sur vous, madame Pignot, soyez ponctuelle. Si vous n’étiez pas de la famille… maugréa-t-il avec un brusque demi-tour.
     
    — C’est l’heure des moineaux, décréta Séverine Beaumont. Ils ont faim l’hiver, y en a qui me picorent les miettes dans la main. Ah ! c’est drôle la nature ! Celui-là avec un plastron noir et une patte cassée, ça fait trois ans qu’il me visite ! Mais celui au collier blanc, il est craintif, je lui émiette du pain au pied du bec de gaz. C’est eux, ma marmaille !
    Un indigent se baissa et fourra une poignée de mie séchée dans sa poche. La bouquiniste affecta l’indifférence.
    — Lui, c’est un chasseur de cafards, il a souvent l’estomac vide, il travaille pour les bouillons Duval et ils ne lui versent que dix francs par an pour ses services, heureusement qu’y en a des masses dans Paris, des cancrelats et des bouillons !
    Elle saisit Euphrosine par la manche.
    — Bonjour, monsieur de La Gandara, clama-t-elle avec une révérence à un bel homme aux yeux allongés.
    — Un peintre célèbre, chuchota-t-elle, il se prénomme Antonio, il a croqué Liane de Pougy et Sarah Bernhardt. Je le soupçonne d’avoir un faible envers moi.
    Euphrosine s’arracha à son étreinte.
    — Excusez-moi, faut que je parte, les enfants…
    La peur enflait en elle à l’idée de pénétrer une seconde fois dans le logis de Philomène.
    — Jésus-Marie-Joseph, pourvu que j’l’agrafe, le bouquin de mon minet, articula-t-elle en évitant Raoul Pérot, qui faisait mine d’être extasié par un exemplaire des Contes de La Fontaine de l’édition de 1685, avec figures de Romain de Hooge, exhibé par Lucas Le Flohic.
    — Superbe, non ? Mais vous savez, il faut de tout, même des vieux rossignols à trois francs cinquante qu’on brade dix sous, les mauvais jours on vendrait des résidus de poubelle. En revanche, ne vous avisez pas de

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