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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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guigne.
    Joseph agita la lettre au nez de Victor et traversa.
    — Je vais boire un jus à La Frégate , claironna Séverine Beaumont. Monsieur Le Flohic, soyez assez aimable pour surveiller mes boîtes.
    Fulbert inspira à fond et souleva le couvercle de sa première boîte. Depuis plus d’un an, ses articulations devenaient raides, une douleur sourde lui tenaillait le dos, signes que la décrépitude s’emparait sournoisement de lui. Il soupira, cela aussi était un signe, ces soupirs de plus en plus nombreux. Il interrompit le dépoussiérage de ses livres et se massa les reins, attentif aux flâneurs. Angélique Frouin se dandinait devant les étalages de ses collègues, aux prises avec le châssis à roulettes porteur de son métier à carder et les ficelles rouges de trois gros ballons jaunes gonflés à l’hélium sur lesquels Dufayel se détachait en lettres rouges.
    — Vous vous êtes reconvertie dans les réclames d’ameublement ? s’informa-t-il.
    — Excusez-moi de ne pas vous prêter main forte, m’sieu Fulbert, mais si je lâche, ça va s’envoler, et c’est pour mes gosses, ils vont jubiler, figurez-vous qu’une de mes connaissances m’en a fait cadeau… Oh ! vous êtes là, m’sieu Larue, on dirait que vous m’évitez, moi qui vous cavale au train pour vous avancer les sous de la vitre que vous comptez me réparer. Vous ne m’avez même pas dit combien ça coûtait !
    Cramoisi, Gaétan Larue essayait de se fondre dans un renfoncement du quai. Les femmes l’attiraient et l’effrayaient sans qu’il comprît pourquoi. Angélique Frouin éveillait en lui des sentiments plus que tendres, il n’était pas insensible à ses formes étoffées et à ses prévenances. Cependant, dès qu’elle s’approchait à moins d’un mètre, il ressentait une peur panique et, le plus souvent, finissait par se sauver.
    — Vous ne me devrez rien, grogna-t-il. C’est naturel de rendre service à une amie. Bon, sur ce, je vous salue, le devoir m’appelle.
    — En voilà des façons, une amie, moi j’aimerais bien que ça n’en reste pas là, mais parfois j’ai l’impression d’être un épouvantail, dès que je me pointe, il se carapate ! Un jour, c’est oui, un jour, c’est non, ce n’est pas un soupirant, c’est une douche écossaise !
    — Il est timide, ne vous offusquez pas, quand il en aura l’audace, il se déclarera, dit Fulbert Bottier.
    — Ouais, ben il ferait mieux de se dépêcher avant que j’aie de la moustache et les dents gâtées ! Je descends sur la berge, si jamais il revient, dites-lui de me rejoindre.
    Fulbert Bottier se gratta l’occiput. Il avait été marié seize ans à un dictateur en jupon qui lui délestait son portefeuille en douce et lui interdisait de trinquer avec ses copains. À la place de l’élagueur, il eût pris ses jambes à son cou.
    Victor achevait de disposer les revues dans l’étalage de Raoul Pérot.
    — J’espère que votre beau-frère ne va pas fouiner à la brasserie pendant la pause du déjeuner, cela saboterait la surprise, remarqua celui-ci.
    — Aucun danger que les serveurs ne nous trahissent, je les ai gratifiés d’un pourboire royal.
    À cet instant, un cri les figea. Fulbert Bottier, pétrifié, contemplait sa quatrième boîte. Il avait été stupéfait de constater l’absence de cadenas, c’était la première fois qu’on forçait son étalage. Il avait actionné le couvercle, redoutant le pire. Le spectacle qui s’offrit à lui dépassa ses craintes. Non seulement tous les livres avaient disparu, mais ils étaient remplacés par le cadavre recroquevillé sur lui-même d’un homme décapité.
    Fulbert recula, si bouleversé qu’il pouvait à peine parler. Il finit par articuler :
    — Là… Là… Un… Au secours !
    Les voisins accoururent. Lucas Le Flohic émit un gargouillement, l’Odeur plaqua une main devant sa bouche. Raoul Pérot déglutit péniblement. Hypnotisé par la plaie rougeâtre qui trouait la poitrine nue du cadavre sans tête, Victor plongea dans la vision fugitive d’un lac pourpre où il se débattait. Il lui fallut un bon moment pour prendre conscience de ce qu’il voyait, ses tempes palpitaient, sa raison enregistrait, transmettait à son cerveau, lui se refusait à comprendre.
    Lucas Le Flohic, tétanisé, entendait une voix intérieure répéter comme une mélopée : « Ô mon Dieu, ô mon Dieu, ô mon Dieu… »
    Raoul Pérot rompit le silence.
    — C’est curieux, on

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