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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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lui a retiré ses chaussures, il n’est vêtu que d’un caleçon, ce meurtre doit dater d’au moins deux jours, parce qu’il a l’air d’avoir perdu tout son sang. Il sent drôle, vous ne trouvez pas ?
    C’en était trop pour l’Odeur, qui, secoué de spasmes, se vida de son repas.
    — Qu’est-ce qu’il fout là ? Dans ma boîte ? Et on m’a piqué mes bouquins, par-dessus le marché ! J’avais les œuvres complètes de Bossuet, des cartonnages rouge et bleu à dorures pour les enfants, des psautiers et des bréviaires pour les dévotes, des classiques grecs, latins, allemands et même des Georges Ohnet, chacun y dénichait son plaisir… Pourquoi, mais pourquoi ?
    — Vous avez une idée de l’identité de ce… de cette personne ? hasarda Victor.
    — Non, à première vue, et dans cet état, non ! S’il avait encore sa tête… Ma boîte est foutue, vous avez beau dire, il y a du raisiné, des saletés, c’est immonde, ça cocotte ! Trente ans de quai et c’est moi qui écope de ce cadeau !
    — Le mieux, c’est de s’abstenir de toucher au corps, conseilla Raoul Pérot.
    — Faudrait me payer !
    — Refermez et restez dans les parages, au café par exemple, tous, parce que la police voudra vous interroger.
    — Moi aussi ? chuchota Victor.
    — Non, vous, vous décanillez, il serait préférable que vous demeuriez hors du coup le plus longtemps possible, je vais prévenir les bouquinistes, mais préparez-vous à ce que l’un d’eux mentionne votre présence un de ces quatre… Pour l’heure, motus, parce que si Valmy rapplique, il sera furieux, et la fête de ce soir serait gâchée ; je vais seriner ça au parrain de Joseph. À partir de demain, je ne réponds de rien, dit Raoul Pérot, vivement contrarié. Fulbert, soyez assez aimable pour clore mon étalage, je file à la Préfecture. C’est une malédiction, mon ancien boulot me colle à la peau, grommela l’ex-commissaire en se dirigeant vers le quai des Orfèvres.
     
    Après une matinée solitaire dans la librairie Elzévir, Joseph avait décidé de déjeuner rue de Seine. Arthur se portait à merveille, il rampait sur un tapis, bavait en suçant son lapin en peluche, Daphné trottinait après un ballon, Iris, moulée dans un peignoir vieux rose, sauta au cou de son mari et le coiffa d’un melon neuf, assorti d’un « Joyeux anniversaire ! » qui l’emplit de remords.
    — Tu t’es souvenue…
    — Bien sûr ! Mais au réveil j’étais alarmée par la santé d’Arthur, et puis ta mère m’a suppliée de patienter jusqu’à ce soir parce qu’elle est sortie t’acheter un présent. Je ne pensais pas te voir à midi, je n’ai pu résister.
    — Mon amour, si tu savais ce que ça m’émeut !
    Il s’admira dans la glace, se trouva beau.
    — Ma puce, ça t’ennuie si je sors ? Je rentrerai vers dix heures du soir. J’ai rendez-vous avec un copain d’enfance.
    — Je le connais ?
    — Non, il s’appelle Marcel Bichonnier il gère une fabrique de confettis, rue de Chaligny, entre l’hôpital Saint-Antoine et la caserne de Reuilly. On a vendu des journaux ensemble quand on était gamins. Où est mon costume ?
    — Tu vas te pomponner pour aller dans un atelier de confettis ?
    — Euh, c’est que… Je veux l’impressionner, il me prend pour un écrivain réputé et… Si ça te tracasse, je peux décommander.
    — Sherlock Pignot, je suis très mécontente, on dirait que tu doutes de ma compréhension, répondit-elle en dissimulant un sourire. Tu retournes à la librairie ? Fais attention de ne pas te salir quand tu te seras habillé.
    Ils chipotèrent. Le ragoût de carottes et le cabillaud sauce blanche mijotés par Euphrosine ne ravissaient pas leurs papilles. Puis Joseph dévala l’escalier, fier de son couvre-chef.
    L’heure de la sieste avait sonné pour la progéniture d’Iris, au grand dam de Daphné. D’un ton indigné, elle s’exprimait comme une adulte miniature, mais ne parvenait pas à prononcer les r .
    — J’ai pas sommeil, c’est injuste, papa va puni des bandits et moi je suis obligée de me coucher, je le diwai à mémé Phosine et à tonton Toto !
    Deux minutes plus tard, elle dormait aussi profondément que son frère. Leur mère s’assit à la table de la salle à manger, rongea un crayon avant de noter dans un carnet le début d’un nouveau conte :
    Le jour où les statues…
    Le jour où les statues se résolurent à quitter leur socle, Paris

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