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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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Philomène Lacarelle prévalut sur son indignation. Une femme assassinée chez elle tandis qu’elle raclait un chaudron… Un monceau de manuscrits arrachés à des merveilles…
    — Le Traité des confitures… Il faut qu’Euphrosine me montre l’ouvrage qu’elle a emporté par mégarde.
    Il se mit à faire les cent pas.
    — Une vitre brisée… Des pots de confitures volatilisés. Un serre-livres manquant. Un fragment de ficelle rouge.
    Il se figea.
    — De la ficelle ! Quelqu’un m’a parlé de ficelle et de meurtre récemment… Joseph !
    Joseph, avec sa manie de collecter les faits divers macabres.
    « Un libraire en chambre… saucissonné… lardé de coups de couteau. Vous le connaissiez ? »
    Ces éléments disparates, similaires à un rébus, évoquaient les préliminaires de ses enquêtes passées.
    Le vacarme d’une poubelle renversée le ramena rudement à la réalité.
    — Foutaises !
    Dans une demi-somnolence, il eut la vision de Séverine Beaumont. Elle tricotait une écharpe bleue où apparaissait un motif. Nul doute que ce fût une ancre marine. Elle était debout près de son siège de toile. La soixantaine au maximum, un fil de fer à long manteau chocolat, bottines de couleur foncée, visage buriné, émacié, ridules au coin des yeux clairs, un sourire enfantin, des cheveux gris flottaient hors du chapeau garni de dentelles jaunies. Voilà ce qui serait difficile à rendre dans les portraits qu’il comptait exécuter sur les quais : l’expression. Philomène Lacarelle étendue sans vie sur le carrelage d’une cuisine l’arracha à sa rêverie.
     
    La tâche était beaucoup plus ardue qu’elle n’avait semblé. Séparer une tête d’un tronc raidi par la mort n’avait rien d’une sinécure, surtout si l’outil n’était pas approprié, encore une chance d’avoir réussi à se le procurer !
    Les souliers se haussèrent sur les pointes, mus par un effort conjoint.
    C’en était terminé. Ne restait qu’à livrer les deux morceaux. Trois jours que la partie était remise, faute d’opportunité, trois jours que le corps macérait dans la confiture. Pourvu que la veine perdure et que le voyage nocturne ne soit pas interrompu.
    L’aube se levait. Des mouchetures sanguinolentes constellaient le sol. Nettoyer. Emballer les colis. Sortir sans bruit. Cadenasser la porte.
    Seule une souris grignotant une croûte de gruyère cour du Dragon remarqua une paire de souliers bruns martelant les pavés derrière un objet roulant non identifié.
    1 - Aujourd’hui disparue, elle prolongeait la rue de la Petite-Truanderie.

    2 - Cette partie de cartes qui se joue à deux est nommée « brisque » dans l’Ouest et le Sud-Ouest, il n’y a pas de règles écrites.

    3 - Faire la première vente, dans l’argot des bouquinistes.

    4 - Roman de Paul Féval.

Chapitre VIII
    Vendredi 14 janvier
     
    Que Victor eût oublié était déjà regrettable. Que sa chère Iris, obnubilée par leurs deux enfants, se fût conduite de façon analogue, il se résignait à l’admettre. Le bébé Arthur avait émergé d’une nuit agitée et l’inquiétude au sujet d’un accès de fièvre l’emportait chez lui sur la déception liée à l’indifférence des siens. Mais que sa propre mère fût amnésique était inacceptable ! Et que dire de son parrain, l’alter ego de son père ? La majorité des souvenirs d’enfance de Joseph se rattachaient à cet érudit qui lui avait enseigné l’amour des livres, leur date de publication, le chiffre de leur tirage, le nombre des éditions sur grand papier et le nom des imprimeurs. Les verres opaques et le ventre rebondi de Fulbert symbolisaient sécurité et fiabilité. Quand Euphrosine avait perdu son mari, qui avait organisé les funérailles, payé l’enterrement de troisième classe, convié les voisins du quai Voltaire à une collation ? Fulbert, toujours Fulbert. Joseph le soupçonnait d’avoir même honoré Euphrosine d’une cour discrète et supporté sans rancœur d’être repoussé.
    « Regardez-le ! Il m’ignore complètement ! Il n’en a que pour ce Pérot ! N’en déplaise à Victor, ce luron n’a nul besoin de nous ! Ses boîtes sont à moitié vides et ce ne sont pas ces deux cartons de revues cédées par la librairie Elzévir qui les rassasieront ! Mais qu’est-ce qu’ils complotent, ces deux cossards, pia pia pia  ! »
    Victor avait entraîné Raoul Pérot à l’écart.
    — J’ai hésité à vous

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