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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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n’ayez crainte, votre tour viendra !
     
    Le commissaire principal Augustin Valmy tira de son étui une courte lime métallique et la frotta doucement sur l’ongle de son pouce gauche. Au bout de trois minutes, il s’arrêta et contempla le bureau dont il bénéficiait depuis deux semaines. Ce lieu, de belles proportions, valait pour lui les plus captivantes salles du Louvre. Oubliés, les affreux rectangles marron qui l’étouffaient ! Les murs avaient, suivant ses instructions, été peints en blanc. On y avait accroché un large plan de Paris et deux gouaches médiocres de Fouché et de Vidocq. Le bureau comportait de nombreux tiroirs. Un meuble de notaire occupait la cloison qui côtoyait un cabinet de toilette pourvu d’un évier et d’un miroir. Le commissaire se réservait un fauteuil haut sur pieds qui lui permettait de dominer son interlocuteur, assis en vis-à-vis sur une chaise.
    « Ce libraire devrait être mûr. »
    Augustin Valmy se leva, s’étira et entrebâilla la porte.
    — Monsieur Legris, seriez-vous assez aimable pour me consacrer quelques instants ?
    Victor pénétra dans le bureau avec autant de répugnance que s’il allait consulter un médecin. Augustin Valmy n’avait pas changé : des yeux bleu ardoise enchâssés dans un visage flegmatique, des cheveux noirs calamistrés séparés par une raie médiane, un costume à la coupe impeccable. Pendu à une patère, un manteau de vigogne. Des gants de suède dépassaient d’une des poches.
    Victor s’installa sur le siège inconfortable.
    — Je dois me rendre à la librairie…
    — Je ne vous retiendrai pas longtemps, monsieur Legris. Que pensez-vous de mon nouvel aménagement ?
    — Quoique monacal, c’est tout ce qu’il y a de coquet.
    — C’est mon laboratoire, j’y étudie les humains, leurs vices, leurs roueries, leurs mensonges. Je vous étudie, vous, par exemple, qui, par une bizarrerie que je ne m’explique pas, êtes toujours lié à des histoires macabres. Si nous discutions de ce cadavre privé de sa partie supérieure ?
    — Il est exact que j’étais présent lors de sa découverte, cependant, c’est pure coïncidence.
    Le commissaire Valmy ébaucha un sourire et se lima les ongles.
    — L’odeur ne vous a pas intrigué ?
    — L’Odeur ? Est-ce une allusion à ce bouquiniste du quai Voltaire ?
    — Il a un nom que je sache, il se nomme François Verjus. Je vous prierai de ne pas vous gausser de moi. Outrage à fonctionnaire de la police, cela va chercher loin.
    — Je suis sérieux.
    — Moi aussi, décréta le commissaire, sa lime pointée sur Victor. Je vous parle d’une odeur caractéristique de fruits caramélisés. Le corps de la victime en était imprégné.
    — C’est singulier, non je n’ai rien senti, j’étais horrifié, je me suis tenu en retrait.
    Tandis que l’excitation l’envahissait, Victor s’efforçait de demeurer impassible. Comment ne pas rapprocher ce renseignement des confitures de Philomène Lacarelle ? Valmy avait-il vu juste ? Les deux homicides étaient-ils liés ?
    — Je ne suis pas idiot, Legris, je décèle une lueur d’intérêt dans vos pupilles. Mise en garde : cessez de piétiner mes plates-bandes, vous avez le fâcheux penchant de regarder sous le tapis.
    — Je ne saisis absolument pas…
    — Votre ami Pérot vous a sûrement mis au courant de la mort violente d’une fidèle des quais.
    Il lissa un papier et posa sa lime sous un nom.
    — Philomène Lacarelle, rentière, ex-femme de ménage. Je me moque des conjectures et des suppositions dont vous êtes l’éminent spécialiste. Ce que je désire, c’est travailler sans ingérences. Si vous persistez à me barrer la route, j’utiliserai les moyens les moins orthodoxes afin de vous boucler quelque temps. Votre charmante épouse sera perturbée, mais moi, j’aurai le champ libre. Vous me suivez ?
    — Parfaitement, monsieur le commissaire principal.
    — Quand on possède plus d’informations que ne saurait en contenir le cerveau, le mieux est de se décharger dans l’oreille d’un confesseur.
    Augustin Valmy jeta un regard froid à Victor et enchaîna :
    — Avez-vous quelque chose de lumineux à ajouter ? Non ? Vous pouvez disposer.
    — Au revoir, monsieur le commissaire principal, je vous remercie de votre mansuétude.
    — Et dites à M. Fulbert Bottier qu’il est attendu.
     
    Des grains de poussière peuplaient un pâle rayon de soleil égaré dans la

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