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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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montrer d’une sagesse exemplaire. Foin des bals du samedi soir et des hommes, roquentins ou galapiats. Elle ne sortait jamais en cheveux, ne se promenait pas bras dessus, bras dessous avec ses camarades, et à sa jupe, d’une propreté irréprochable, ne s’accrochait nul brin de fil.
    Distinguée, vertueuse et sûre d’elle, elle avait gravi tous les échelons de sa profession, d’abord ouvrière construisant l’armature générale, puis apprêteuse revêtant cette forme de tissu, garnisseuse et finalement première. Elle avait vite compris qu’une femme moderne n’achetait plus un chapeau de soixante francs mais plutôt trois chapeaux de vingt francs. Elle s’était employée à inventer des modèles élégants mais économiques. Et, enfin, elle avait investi le fruit d’années de labeur dans la location de son salon, rue de Paradis, un nom qui l’avait séduite. Songeant maintenant à épouser un rond-de-cuir de ministère, elle continuait d’avancer vers son avenir d’un pas ferme.
    De même, en cette aube givrée et sans nuages, les souliers bruns claquaient sur le trottoir vide face au magasin  Au Chapeau chic  où ils ne marquèrent qu’une légère hésitation.
     
    Casquette bleue à pont, blouse de toile écrue, moustache de vétéran, l’allumeur de becs de gaz éteignait l’un après l’autre, de sa longue perche, les réverbères de la rue Visconti.
    Euphrosine s’était éveillée de fort méchante humeur, pestant contre un torticolis, un lumbago et une sourde douleur à la jambe droite. Ces trois maux étaient plus qu’elle n’en pourrait supporter, sauf si elle s’allouait un remontant. À la faveur des ronflements émis par son rejeton, elle s’octroya un sucre imbibé de chartreuse. C’était tellement bon qu’elle en croqua un second. Rassérénée, elle se livra à une toilette sommaire, s’habilla et prépara un déjeuner approprié à son fils, bol de café crème, cinq tartines beurrées et une assiettée de pruneaux.
    Quand Joseph, les yeux bouffis, des épis sur le sommet du crâne, s’assit devant cet étalage de nourriture, il se contenta d’avaler deux gorgées du café trop blanc et grignota une demi-tartine.
    — Quelle heure qu’il est ?
    — Huit heures.
    — T’aurais dû me tirer du lit. Faut que je fonce dire bonjour à Iris avant de cavaler à la librairie.
    — J’irai, moi, rue de Seine, et j’espère que cette cruche de Mélie aura ramené les enfants. Ben, mange donc des pruneaux, c’est excellent pour la paresse intestinale.
    — Merci, tout va bien de ce côté, grogna-t-il en écartant l’assiette. Dis, maman, le livre, enfin l’espèce d’ouvrage couvert de papier bleu et rouge que tu as pris par erreur chez cette femme…
    — Qu’elle m’a remis par erreur, la pauvre, rectifia-t-elle.
    — Oui, bon, c’est quoi au juste ?
    — Euh… J’l’ai à peine examiné, j’étais turlupinée ! Tu m’bassines, à la fin !
    Sans un mot, Joseph brandit le manuscrit trouvé la veille.
    — Ben ça ! Tu as une sacrée veine de l’avoir épinglé dans ce fatras !
    — Raconte-m’en davantage sur Philomène Lacarelle. Tu lui connaissais des amis, des relations ?
    Euphrosine commença par renâcler et profita d’un moment d’inattention de son fils pour verser un peu de chartreuse sur un sucre qu’elle enfourna. La langue embarrassée, elle bégaya :
    — J’suis… as une… aft…
    — T’as des aphtes ?
    — Je ne suis pas une caf-teu-se, articula-t-elle. En dehors de sa dévotion au général Boulanger, et puis aussi de sa passion des confitures… Oui, ça me revient, elle avait fondé une sorte de cercle, un club du type de ceux où les richards potinent, tu vois le genre, ces femmes que t’appelles des moukères et qui sonnent la bonne pour ramasser leur éventail, fainéantes, j’te les flanquerais au turbin, moi, et vlan sur le carreau des Halles !
    — Maman, tu t’éloignes du sujet. Quel club ?
    — Un club où ses copines et elle discutaient confitures, échangeaient des recettes, se divulguaient des secrets de fabrication. Elle aurait aimé que j’en fasse partie, mais, non merci, les confitures, je les savoure, je n’écris pas une encyclopédie dessus, parce que j’ai déjà mon keepsake qui me prend du…
    — Maman… Le club ?
    — Il a un drôle de nom. Les Croque …
    Elle loucha vers la bouteille de chartreuse.
    — Mitaines ? Morts ? jeta Joseph, agacé.
    — Fruits ! Les

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