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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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votre curiosité à propos de ces assassinats. Vous n’avez que trop joué avec le feu ces dernières années. J’ai une triste nouvelle, Lewis Carroll est mort hier.
    — Mince alors ! Il était âgé ? demanda Joseph.
    — Soixante-six ans, sept ans de plus que moi. Joseph, mettez en vitrine Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir . Cyrano de Bergerac vient de paraître chez Fasquelle, commandez-en vingt exemplaires. Prenez également contact avec la maison Stock pour qu’ils nous livrent leurs nouveautés avant le 22 janvier. Notez : Un client sérieux , de Georges Courteline et Le Voleur de Georges Darien. Victor, accompagnez-moi quai Saint-Michel, on m’a signalé des livres rares à prix modiques.
    Sans prêter l’oreille aux protestations de ses associés, l’un parce qu’il restait seul, l’autre parce qu’on le poussait dehors, Kenji s’effaça courtoisement devant une cliente avant de remorquer son fils adoptif vers la Seine.
     
    Ils cheminaient sans échanger une parole. Quai des Grands-Augustins, ils observèrent le manège d’un vieux bouquiniste, le père Grenaille, monnayant en douce à un lycéen des ouvrages extraits sans conteste de la bibliothèque parentale. Un peu plus loin, ils s’attardèrent à l’étalage d’une femme de vastes proportions cantonnée dans la vente de faux : fausses gravures sur bois signées Dürer ou Callot, faux autographes, fausses premières éditions, fausses pièces romaines.
    — Monsieur Mori ! Je viens de dégoter un lot de bréviaires, rien que des XVII e et XVIII e  !
    — Non merci, madame Éliane, ces siècles nous ont certes légué de superbes sermons, mais aussi un raz de marée de textes religieux fort indigestes. À moins que vous ne m’accordiez un prix de gros…
    — J’peux pas consentir, monsieur Mori.
    Mme Éliane eut un mouvement d’humeur et courut renseigner une élégante séduite par un missel doré sur tranche.
    — Eh bien, c’est le coup de foudre ? dit Victor à Kenji qui demeurait immobile.
    — À votre avis, quelle est la longueur d’une boîte de bouquiniste ?
    — Un mètre cinquante minimum, cela dépend des marchands. Pourquoi cette question, vous prévoyez de vous installer à côté de Raoul Pérot ?
    — Quelle était la taille de ce décapité ?
    — Du cou à la plante des pieds ? Sensiblement comme moi.
    Kenji tendit la main, paume horizontale à la hauteur des épaules de Victor.
    — Voilà la raison de son raccourcissement, il n’entrait pas dans la boîte de Fulbert.
    Victor fixa Kenji avec stupéfaction.
    — Je ne comprends pas ce qui a pu inciter le criminel à pourvoir sa victime d’un tel cercueil. Peut-être fomentait-il une mauvaise plaisanterie à l’encontre de Fulbert ? Ou alors voulait-il brouiller les pistes ? grommela Kenji en s’éloignant enfin, au soulagement de Mme Éliane.
    — Vous n’éprouvez guère de compassion pour le parrain de votre gendre ! Un pépé de soixante ans !
    Kenji pila net et desserra sa lavallière, il étouffait. Les prunelles étrécies, il avait l’apparence d’un chat sur le qui-vive.
    — J’aurai cinquante-neuf ans dans quelques mois, j’aborderai donc ma soixantième année. Ne me donnez jamais du « pépé » ou je vous mords l’oreille, déclara-t-il d’une voix contenue.
    Un instant il parut fatigué, vieilli, dépassé.
    — Excusez-moi, en aucun cas je ne pensais vous blesser, vous êtes juvénile, svelte, sémillant, s’écria Victor que l’anxiété gagnait à l’idée que les années s’étaient écoulées si vite.
    — N’en jetez plus, grogna Kenji qui se remit en marche. Avez-vous une liste des suspects ?
    — Euh… non, trop tôt.
    — Tant mieux. J’espère que vous n’allez pas remettre le couvert, cela évitera à vos proches de se ronger les sangs. Suis-je assez clair ?
    Sans se retourner, Kenji se jeta dans le labyrinthe des véhicules bloqués place Saint-Michel. Victor le suivit prestement, insoucieux de la gadoue qui crottait ses chaussures neuves.
     
    Ferdinand Pitel aimait façonner des souliers.
    Il avait appris le métier sur le tas avec un vieil artisan qui l’avait initié à les confectionner, de l’origine à la finition.
    « Mon petit Ferdinand, il n’y a pas pire que la division du travail, ça vous tue l’envie de bosser, constamment les mêmes gestes. Tu finis par devenir un automate. Aujourd’hui, tout se fabrique en série, c’est l’ère

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