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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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flacons de parfum aux bouchons de cristal. Elle sursauta à la vue d’un soleil qui, sous la lueur de sa bougie, semblait plonger à l’horizon d’une mer d’huile. Le lit à colonnes se trouvait sur la droite. La silhouette s’immobilisa. L’objet qui gonflait une poche de son manteau eût probablement rempli parfaitement son office, mais il avait déjà servi et risquait d’être identifié, tandis que ce fer à repasser en fonte, subtilisé dans la boutique, avait l’avantage de faire partie du lieu.
    Un bras prêt à s’abattre se découpa sur la tête du lit. Annie Chevance ne souffrirait plus jamais du manque de sommeil.

Chapitre XI
    Dimanche 16 janvier
     
    Un vent mordant s’engouffrait dans les ruelles amarrées aux Halles. Des papiers et des épluchures tourbillonnaient sur les trottoirs et se plaquaient contre les fenêtres closes. La ville peinait à secouer sa torpeur, encalminée dans la nuit où les halos de quelques réverbères dessinaient un sillage aérien. Parmi les bruits confus du quotidien – chiens affamés, la truffe enfouie au fond de poubelles, chats en vadrouille, humains éreintés à l’orée d’une nouvelle journée de travail – résonnait le claquement de bottes renforcées de talons ferrés. De belles bottes bien astiquées qui se fondirent au milieu d’une flaque d’ombre, près de la devanture d’une boucherie chevaline. En dépit du froid, Amadeus attendrait. Sa houppelande à collet l’abritait des courants d’air et son brûle-gueule attisait en lui un feu réconfortant.
     
    Se lever dès potron-minet, quand le passage du Caire dormait encore, paupières baissées sur les ateliers d’impression lithographique et les magasins tassés sous la verrière, tel était le bon plaisir de Gaétan Larue.
    Sanglé dans son uniforme foncé d’employé municipal, coiffé de la casquette réglementaire qui l’apparentait à un facteur, il arpentait le tunnel désert dont il se prétendait le propriétaire.
    Il émergea place du Caire, leva les yeux sur l’étroit balcon de son appartement. De là son regard dériva vers les trois télamons égyptiens aux yeux étirés, aux oreilles de vache et aux perruques fantaisistes, surmontés de cartouches gravés et d’une frise guerrière inspirée des tombeaux pharaoniques. Cette évocation de pacotille, qui le ravissait, célébrait l’entrée des troupes françaises au Caire le 23 juillet 1798 et l’enthousiasme suscité par cette victoire. Après une pensée émue au souvenir de sa première rencontre avec Angélique Frouin en ces parages, Gaétan Larue attrapa le cahotant omnibus C, véhicule assoupi qui le mena aux bains chauds de la rue Vivienne. Sa toilette expédiée, il serra autour de sa taille une double et large ceinture, indispensable instrument de travail, et grimpa sur l’impériale d’un second omnibus ralliant les Champs-Élysées. Pour quelle raison eût-il remarqué le fiacre à l’abri duquel l’épiait une silhouette emmitouflée d’une pèlerine ?
    Gaétan Larue déplorait d’avoir été spolié du soin de ses chers platanes de l’avenue de Friedland. Ironie du sort, son habileté et sa souplesse lui avaient valu cette mutation. Les gros ormes qui lui étaient confiés s’épanouissaient au cœur d’un mobilier urbain envahissant et, comme la circulation ne pouvait longtemps être interrompue sur la plus grande artère de la capitale, on avait jugé adéquat de faire appel à sa virtuosité. Évaluation fiable des obstacles. Méprise le vertige , avait griffonné un rond-de-cuir dans son registre.
    Ses collègues élagueurs enviaient ce qu’ils considéraient comme une promotion, tandis que lui regrettait des lieux moins fréquentés.
    « Un pion, je ne suis qu’un pion qu’on manipule à sa guise ! »
     
    Amadeus mouilla le bout de son index afin de gommer une éclaboussure sur sa botte droite. Il se rencogna dans l’angle d’un porche, observatoire discret. Quelle agilité ! Cet homme risquait sa vie sans barguigner. Grâce à une échelle, il se hissait jusqu’à la cime de l’arbre où des cordages reliés aux anneaux de sa ceinture lui permettaient de s’accrocher, un vrai singe ! Ses mains libres maniaient la serpe qui lui servait à entailler l’écorce. Une poussée suffisait ensuite à éradiquer la partie indésirable et à la balancer au sol sans endommager les branches inférieures. L’élagueur descendait chercher un pot de coaltar tiédi sur un réchaud et

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