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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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répondre « un chocolat », mais Victor le devança.
    — Rien, merci. Kenji, d’après vous, le chevalier à la triste figure …
    — N’est autre que Don Quichotte, marmonna l’interpellé en se beurrant une biscotte, vous devriez le savoir.
    — C’est un grand type maigre qui se bagarre contre des moulins à vent, spécifia Mélie, fière d’étaler ses connaissances. Chez nous, on avait une assiette qui le représentait. Avait-il l’air bête !
    Victor eut un geste agacé.
    — Si je vous cite un lieu nommé  Le Milieu du Monde , des galeries voûtées, un homme muni d’une arme et un ancien couvent, cela vous évoque-t-il un quartier parisien ?
    La biscotte se figea à deux centimètres des lèvres de Kenji.
    — Vous aussi vous affectionnez les charades ? Joseph m’a déjà fait subir un interrogatoire, il…
    La théière valdingua sur le carrelage.
    — Je suis désolé, dit Joseph.
    Kenji fronça les sourcils. Son regard obliqua vers son gendre, affolé que son pressentiment se justifiât si vite. Afin d’adopter une contenance, il tripotait le recueil ouvert sur ses genoux. Son manège attira l’attention de Mélie, courbée en deux pour ramasser les éclats de porcelaine.
    — Oh, c’est joli ! Cet album-là, ça réveille ma jeunesse, du temps où ma mère m’obligeait à cuire des confitures !
    Sans se rendre compte de la stupéfaction causée par ses propos, elle enchaîna :
    — Je déteste cette occupation, on m’a trop rasée quand j’étais gamine, cueillir les fruits, en ôter les noyaux, concasser le sucre, surveiller la cuisson, ébouillanter les récipients, les garnir. La seule chose que j’adorais, c’était l’étape finale. Ma mère, elle était exigeante, elle n’utilisait que de la peau de veau mort-né pour fermer hermétiquement ses pots, ça porte un nom spécial, du… du… Oh ! Je suis bête, gròssa testa, pauc de sens 1  !
    — Du vélin ? suggéra Kenji entre deux gorgées de thé vert.
    — Du vélin ! Vous avez mis le doigt dessus ! Eh ben, m’sieu Pignot, votre machin est du même genre que ceux que ma mère achetait aux colporteurs.
    Victor et Joseph se fixèrent comme s’ils tentaient de s’hypnotiser. Kenji les lorgnait de côté. Ses yeux s’animèrent. Il emplit sa tasse derechef et prit la parole :
    — Ils sont nombreux, les ennemis des livres ! Les cordonniers doublent le quartier des chaussures de dames avec la peau empruntée à des reliures. Les collectionneurs de lettres ornées, de miniatures et de frontispices n’hésitent pas à taillader les manuscrits. Je vous épargne les pâtissiers dont la friture éclabousse de rarissimes compilations de recettes, et les épiciers qui massacrent sans merci les parchemins les plus rares pour confectionner leurs cornets. Mais, selon le Bibliophile Jacob 2 , de tous ces ravageurs, les ménagères détiennent le pompon. De siècle en siècle elles ont scellé leurs pots de beurre ou de confitures aux dépens de documents historiques. Je pourrais également inclure ces mères qui, pour avoir la paix, donnent à leur progéniture d’antiques volumes de gravures sur bois à colorier ou ces botanistes qui transforment in-folio et in-quarto en succursales de leurs herbiers. Joseph, vous permettez que j’examine cet ouvrage ? Vient-il de notre fonds ?
    Il observait le visage de son gendre, et ce fut pour celui-ci un mauvais moment.
    — Je retiendrai le montant de cette théière sur votre salaire. Je vous ai posé une question.
    — Euh, je… Ben…
    Victor ne lui laissa pas le loisir d’en dire davantage. Il l’attrapa par la manche et l’entraîna vers la porte.
    — C’est un de mes trésors personnels. Je vous remercie Kenji, vous aussi, Mélie. Venez, Joseph, il y du travail en bas.
    — Qu’est-ce qui leur prend ? Ils viennent quand ça leur plaît et s’en vont de la même façon. Mélie, préparez un plateau pour Mme Djina.
     
    Victor et Joseph regagnèrent l’arrière-boutique.
    — Joseph, confiez-moi ce recueil, ordonna Victor, et surtout, motus ! La purée de poix commence à se décanter, ce ne sont pas les confitures qui intéressent notre assassin, ce sont les vélins qui les recouvrent. Je fonce quai Voltaire m’entretenir avec Raoul Pérot. Si Kenji s’étonne de ma défection…
    — Je sais, une bibliothèque à expertiser.
    Victor replaça le bec-de-cane et se heurta à Mme Ballu.
    — Ah, m’sieu Legris. Je vous en ficherai du

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