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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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je n’imagine pas Angélique Frouin commettre ces forfaits.
    — Il est venu me voir au magasin.
    — Qui ?
    — Amadeus.
    — Quand ? Pourquoi ?
    — Le jour de votre anniversaire. J’étais seul. Il m’a acheté l’Helvétius.
    — Comment a-t-il eu notre adresse ?
    — On lui a recommandé notre librairie. Un bouquiniste, sans doute, je l’ai maintes fois croisé le long de la Seine. Il m’a tenu des propos sur l’illusion du monde matériel et m’a demandé si nous possédions des originaux d’Étienne Dolet.
    — Le libraire qui a sa statue place Maubert 4 , il a été pendu puis brûlé pour hérésie, ça remonte à loin, ça.
    — 1546, je me suis renseigné. Avec le recul, j’ai l’impression qu’il me sondait pour savoir si nous détenions des ouvrages du XVI e  siècle.
    — C’est notre homme, ma main au feu !
    — Attendons un peu avant de nous prononcer, ils sont tous suspects, ils se connaissent, ils sont familiers du quai Voltaire et…
    Raoul Pérot s’affala à leur table.
    — J’étais certain que vous seriez là. Je prendrais bien un panaché bien blanc, parce que j’ai le gosier plus sec que le Kalahari. Vous m’avez fait cavaler. Je suis allé visiter la morgue à l’heure du casse-croûte, j’étais sûr que les sbires de Valmy sacrifieraient leur surveillance au profit de leurs panses, vous avez entendu ? Ce sont des rimes.
    — La morgue ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? demanda Joseph.
    — Vous permettez, dit Pérot. À boire, soif !
    Il reposa son bock vide et se pencha vers eux.
    — La morgue rivalise avec nos manifestations picturales. La population parisienne est follement avide du spectacle des cadavres étendus sur les dalles sinistres, et elle rit, oui messieurs, elle rit devant les dépouilles des noyés, des suicidés, des trucidés, des accidentés. Les pêcheurs aussi apprécient la pointe de l’île de la Cité, c’est dans ce coin de Paris que l’on attrape les plus beaux brochets, les plus gras barbillons et les écrevisses au pied des pierres. Vous savez pourquoi ? Parce que la morgue balance les déchets anatomiques dans la Seine. Cela dit, j’ai pu examiner à loisir les mâchoires de la tête du bois de Boulogne. Voici mon croquis. Satisfait ?
    — Ça m’étonnerait qu’on l’expose au musée du Luxembourg, grommela Joseph.
    — Ce dessin n’a pas la prétention d’être une œuvre d’art, mais un élément d’enquête, répliqua Raoul Pérot. Le propriétaire de cette tête ne lésinait pas avec sa santé. Trois dents obturées d’un amalgame aurifié et une incisive absente qui avait probablement été remplacée par une prothèse car j’ai noté la présence d’un pivot. Travail de qualité. Il a incontestablement consulté un chirurgien diplômé. En noir, les dents traitées, en hachuré, celles qui l’auraient été au cours des ans. Quel plan poursuivez-vous ?
    — Je vous expliquerai lorsque j’aurai vérifié ma théorie. Tenez, pour vous, comme promis, le Laforgue.
    — Mille mercis, celui-là, je ne le vendrai pas pour un empire ! Vous partez ?
    — Kenji va nous sonner les cloches. Je passerai sur le quai.
     
    Victor tapota le buste de Molière jusqu’à ce que Kenji se fût éclipsé à l’étage.
    — Joseph, je vous charge d’une mission de haute importance. Prenez le croquis de Pérot et filez chez le Dr Dangé, dentiste rue de Rennes, le numéro m’échappe. Insistez pour qu’il le compare avec sa fiche concernant les soins de Georges Moizan.
    — J’ai compris ! Vous voulez savoir si la tête… Comment êtes-vous en possession du nom de ce docteur ?
    — Incidemment, en discutant avec votre parrain.
    — Dangé ? A-t-on idée de porter un tel nom quand on soigne les dents !
    — C’est pourquoi je ne l’ai pas oublié.
    — Je vous téléphone rue Fontaine après cette investigation ?
    — Non, surtout pas.
    — Je vois. Chez moi, c’est pareil. J’en ai marre de mentir, ça me fatigue. Espérons que je ne me déplace pas pour des haricots, parce que vous allez m’offrir la course en sapin, il va neiger.
     
    Le ciel gris et froid s’assombrissait lentement, rue d’Arcole la circulation se faisait plus dense. Un fiacre souleva des gerbes d’eau sale. Adeline Pitel recula vivement pour ne pas être éclaboussée. À l’abri sous la tente rouge et blanc d’une boucherie chevaline, elle déplia le journal serré sous son bras et parcourut la

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