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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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en feu, bredouilla-t-il.
    — Mensonge. C’est le rouge de la honte qui t’empourpre !
    Tasha se leva brusquement et emporta la soupière à la cuisine, pestant contre Kochka qui lui barrait le passage, contre les hommes qui divaguaient, et même contre sa fille qui pourtant s’était tue.
     
    Samedi 22 janvier
     
    Iris avait l’impression de s’éveiller d’un long rêve au cours duquel sa vraie personnalité s’était dissoute. En cette matinée hivernale, elle se réconciliait avec la jeune fille pleine d’allant et de projets qu’elle avait été. Elle traversa le square qui, à l’arrière de l’église Saint-Germain-des-Prés, abritait une statue de Bernard Palissy. La vue de moineaux picorant un coin jauni de pelouse la combla de joie.
    Elle se dirigea vers un petit établissement à l’angle du boulevard et de la place Saint-Germain, le Café de Flore , ouvert en 1885, qui devait son nom à une divinité romaine. Elle l’avait élu lieu de rendez-vous, parce que, jadis, elle s’y prélassait en terrasse afin d’y contempler la tour romane de l’église. Le froid était vif, elle entra dans la salle qui ne payait pas de mine. Les murs étaient d’un gris sale, les glaces ternies. Cependant, sur les banquettes de velours rouge s’asseyaient parfois J.-K. Huysmans et Remy de Gourmont.
    Iris s’installa près de la vitre sur la gauche, entre la porte et l’escalier, à la table autrefois occupée par Verlaine. Pour meubler l’attente, elle ouvrit un calepin où elle avait recopié ses contes. L’évocation du poète lui inspira la fin de son histoire, Le jour où les statues … Elle consigna d’un trait les dernières lignes :
    Sur le parvis encombré, les lourdes créatures sentaient pour la première fois au cours de leur longue léthargie une douce chaleur les envahir…
    Une main se posa sur son épaule. Elle fourra le carnet dans son sac, tourna la tête en souriant.
    — Victor, je suis contente, il y a si longtemps que nous ne nous sommes vus seuls !
    — Euphrosine garde les enfants ?
    — Que deviendrais-je sans elle ! Souvent elle m’exaspère, mais elle fait marcher la maison. Et quand Joseph et toi complotez, la savoir chez nous me réconforte.
    — Que vas-tu imaginer ? Nous ne complotons pas, protesta Victor en s’absorbant dans la lecture de la carte.
    — À d’autres. Je le connais bien et je sais quand il me ment. Vous êtes lancés dans une nouvelle enquête.
    Victor soupira.
    — Que veux-tu, c’est plus fort que moi, un dérivatif à la routine.
    — Tasha et Alice ne te suffisent pas ? Et la photographie ? Et la librairie ?
    Il fit signe à la serveuse et commanda des sandwiches aux rillettes et du rosé de Provence.
    — Tasha est le pivot de ma vie, Alice est adorable, j’aime toujours autant la photo et les livres, mais j’ai besoin d’un terrain de jeux qui n’appartienne qu’à moi. Voilà, tu as percé mon point faible.
    — Je te comprends, parce que je te ressemble. Peut-être l’as-tu deviné, j’ai moi aussi mon jardin secret. J’écris des contes. C’est Tasha qui les illustre. J’aspire à être publiée, considérée.
    — Toi qui affirmais ne pas raffoler des bouquins ! Pourrais-je les lire et admirer le travail de ma femme ?
    — Bientôt, quand je serai sûre de moi, je te le promets, ton jugement compte beaucoup.
    — Et celui de Joseph ?
    — Je crains qu’il ne désapprouve mon choix.
    — Parce qu’il est romancier ? Détrompe-toi, il sera fier.
    Ils s’interrompirent le temps de manger. Après une hésitation, Iris avoua :
    — J’avais souhaité une autre existence que celle de mère de famille. Nous ne sortons plus, Joseph et moi.
    — Et vous ne voyagez jamais, remarqua Victor. J’ai une idée : pourquoi ne vous évaderiez-vous pas quelques jours à Londres ? Cela te rappellerait de bons souvenirs, et Joseph serait heureux d’explorer la ville de Sherlock Holmes. Kenji, Tasha et moi vous offririons cette seconde lune de miel.
    Elle applaudit, enchantée. Soudain, elle se rembrunit.
    — Mais les enfants, qui s’en occupera ?
    — Euphrosine, évidemment.
     
    Dans la librairie s’entassaient, outre Victor, Kenji et Joseph, Raphaëlle de Gouveline et ses chiens, Mathilde de Flavignol, M. Mendole et le duc de Frioul venu vendre des livres. Les vêtements des visiteurs, imprégnés de pluie, saturaient d’humidité l’air attiédi par le calorifère. Alphonse Ballu s’encadra dans la

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