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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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qui m’étouffe. » Or, immobiles, en avant-garde du sanctuaire de Marie, le grand Christ, les saints et les saintes assemblés de part et d’autre de la travée centrale, ne semblaient point issus du ciel mais de la terre. Pour Hélie dont c’était le premier séjour dans une église immense, il s’agissait de personnes équivoques.
    Le Christ lui-même duquel il s’approchait timidement n’était pas, contrairement à l’usage, un quadragénaire barbu, crucifié, mais un athlète au regard rien moins que doux. Tristan tapota l’épaule de l’enfant :
    – Aie confiance. Ici tu ne crains rien car tout n’est qu’affection.
    En Espagne, parfois, Jésus était entouré de sylvains, de chèvre-pieds, de ribaudes hideuses et de bestioles sauvages. Ici, à Sainte-Marie-de-Marceille, on ne voyait ni ne sentait cette cohue des puissances monstrueuses. Également exclues, les dentelles minérales où les âmes s’égaraient et s’évaporaient, mais un prodige d’équilibre entre la pesanteur du dehors et la Foi montante. Point de béatitude raffinée pour les visiteurs : la démarche du croyant ou du solliciteur devait être franche. La contemplation serait brève et la prière concise. Sans doute devait-on lire en creux sur quelque pierre, dalle ou socle soutenant Sa statue : Civites Virginis – voué à la Vierge.
    Elle fut soudain devant eux, couronnée d’or, scintillante dans l’ombre de son refuge qu’une sorte de herse protégeait. Après s’être signé, Hélie l’examina lentement avec cette attention presque effrontée qui était un de ses traits de caractère, et déjà, il semblait subir son influence. Elle n’était ni plus simple ni plus belle qu’une divinité parée pour figurer dans une liesse noble mais elle était, toute noire qu’elle fût, sincèrement humaine, malgré les joyaux qui l’enveloppaient.
    « Je la retrouve », songea Tristan.
    Il en avait entrevu, des Vierges resplendissantes, dans les iglesias d’Espagne. Debout, assises, les mains vides ou les bras soutenant l’enfant Jésus. La plupart avaient un aspect sévère. Il semblait que certaines fussent enclines à le juger sans équité. Peut-être parce qu’il n’était alors rien d’autre qu’un routier, il n’avait point perçu en elles une trace d’émoi ou de bienveillance. À Séville, en l’église où Francisca aimait à prier, leur attitude était savamment nonchalante. Contrairement à celles de Tolède, on eût dit qu’elles voulaient séduire, par des poses qui faisaient valoir la souplesse de leurs hanches, tous ceux qui les venaient honorer.
    Celle devant laquelle il se trouvait, immobile et mains jointes, le mettait en confiance et en sécurité. Les yeux observaient Maguelonne. Et la figure de bois noir que la jeune femme contemplait devait s’animer à travers ses larmes pour lui délivrer, de sa bouche close, un message qu’elle seule entendait. Elle y répondit par une prière à mi-voix :
    –  Te matrem pietâtis, opem te clâmitat orbis ; sub-venias famulis, o benedicta, tuis (422) .
    Puis, tournée vers son époux :
    – Je… je ne sais plus quoi dire… J’ai oublié… À Villerouge, je savais…
    Il la prit doucement par l’épaule :
    – C’est ton cœur qui lui parle, et c’est lui qu’elle entend.
    Cependant, pour faire bonne mesure, il récita :
    –  Sub tuum praesidium conjugimus, sancta Dei Genitrix ! Nostras deprecationes ne despicias in neces-sitatibus, sed a periculis cunctis libéra nos semper, Virgo gloriosa et benedicta. Amen 264 .
    Ensuite, agenouillés, ils prièrent en silence, chacun à sa façon, même Hélie. Tristan se demanda si leur requête aurait des suites. Il advenait qu’il en doutât. Maguelonne aussi, sans doute, quel que fût son niveau de piété. Ses larmes sur ses joues révélaient son trouble. Quel moyen de faire comprendre à cette Vierge tirée du fond des âges qu’elle l’aimait ? En elle, et en ce moment comme en d’autres, tout était amour. Parfois, elle levait les yeux vers les voûtes, se demandant sans doute si ses invocations pouvaient être entendues d’un Autre, plus haut, bien plus haut que les tuiles du toit.
    D’un même mouvement, ils se levèrent. D’un même pas, ils s’éloignèrent.
    – Elle est belle, dit Hélie. À la fin, je ne la voyais plus noire.
    Ils sortirent. Soulagés ? Ils n’eussent osé le prétendre.
    – Venez, dit Tristan. Nous allons à la source… Hélie, tu boiras

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