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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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même fin peu glorieuse ?
    « C’est peut-être en Espagne que ce malebouche a gagné son épée de connétable ! »
    Là-bas, quelque effort qu’il eût parfois accompli pour paraître une espèce de César ou d’Alexandre, il avait de loin en loin éprouvé du mésaise devant certains de ses pairs de France et de Castille capables, eux aussi, des pires hardiesses. C’était d’ailleurs pourquoi, détestant Calveley autant que ses succès dans les batailles livrées sur le sol de France ou de Bretagne, il ne lui avait versé qu’une partie de ses émoluments d’Espagne, suscitant un procès que l’Anglais avait gagné. Ah ! Certes, Bertrand imitait parfois, dans et hors des armées, l’aisance d’un homme curial (427) . Or, s’il aimait à parler d’égal à égal avec certains chevaliers de bon estoc 291 , n’était-ce pas parce que, préalablement et sans qu’ils s’en doutassent, sa jactance les avait abaissés à son niveau ? À la hautaineté de sa personne, il joignait l’orgueil d’un esprit qui ne subjuguait que les sots. Il avait toujours observé ses grands compagnons – Villaines, Audrehem, Bourbon, Beaujeu et d’autres – avec une lucidité féroce, nourrie de la certitude de sa supériorité. Pervers et ne s’embarrassant d’aucun scrupule, il se sentait mieux armé que tout autre pour l’action. Sans que peut-être il eût été féroce de nature – ce qui restait à prouver -, son caractère » stimulé par une ambition sans mesure, avait exigé qu’il le devînt. Il était entré dans le cercle restreint de la Cour tête basse et sur la pointe des pieds comme d’autres entraient dans les ordres. Mais lui, c’était sans vocation, sans foi, après des années dont on ignorait tout, hormis que certaines avaient eu la forêt de Paimpont pour domaine et pour refuge. Comme d’aucuns s’amélioraient dans l’étude, il s’était dégrossi dans l’aguet et l’escarmouche. Ainsi, de coup d’épée en coup de hache, avait-il appris le mépris de l’humanité, le culte des forts et la haine de l’adversaire. Ce routier d’une moralité rien de moins que ténébreuse avait une vue ferme et fondée sur ce que devait être le Pouvoir et les intérêts qu’il déléguait. La France ? Il s’en souciait moins que des coffres et des bahuts dans lesquels il empilait ses butins.
    – À quoi penses-tu ? demanda Maguelonne après un long bâillement.
    La réponse était simple et pourtant difficile :
    – À Guesclin.
    – C’est un… On ne peut donner un nom à un pareil homme.
    – Tu dis vrai.
    Pourquoi fallait-il que le Breton s’immisçât entre eux ? Plutôt que de consolider leur couple, ce voyage au Puy ne se révélerait-il pas « ruineux » ? Lorsque Maguelonne avait tenu à l’accomplir, il s’était abandonné à son désir avec toute la sincérité dont il était encore capable et s’en était trouvé d’autant plus heureux que leur fils en récolterait peut-être les bienfaits. Or, ce bonheur ne pouvait revenir et durer qu’à la condition d’une entente complète, d’une conformité recouvrée de leurs sensibilités et de leurs esprits à nouveau confiants l’un envers l’autre. Il pressentit qu’à la première fissure, le réveil serait douloureux, porteur d’un désaccord aggravé.
    Un grand élan de commisération eût dû les unir comme deux victimes du même malandrin. Maguelonne en éprouvait-elle la nécessité ?
    – Ce gros rustique sans cœur nous a fait du mal à l’un et à l’autre. Essayons de l’oublier.
    Tourné sur le flanc, Tristan effleura, sous la chemise épaisse, une poitrine toujours menue où pointaient deux boutons durs. Douceur de l’amour.
    – Tu sais…
    À quoi bon parler. Dans quelle dépendance morale ne se trouvait-il pas vis-à-vis d’elle ? Voilà que d’autres mouvements lui faisaient peur.
    – On ne va pas se voir pendant longtemps…
    Il voulut enlacer son épouse. Elle comprit et repoussa une main pourtant indécise.
    – Non… Hélie dort tout près… Il ne faut pas… Et puis, ensuite de tout ce qui s’est passé…
    Si leur fils avait dormi dans la chambre voisine, quel prétexte Maguelonne eût-elle invoqué ?

 
     
     
     
     
     
     
     
TROISIÈME PARTIE
 
 
L’ESTOC ET LE POMMEAU

 
I
     
     
     
    Tristan et son écuyer quittèrent Le Cygne noir la rage au cœur alors que les hôteliers, tôt levés eux aussi, s’apprêtaient à célébrer la

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