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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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au roi de faire son devoir quel que soit le mandement qu’il recevrait. Par le Nivernais, le Bourbonnais, l’Auvergne, il est arrivé au Puy… Le reste, vous le connaissez : vous voilà en plein dedans.
    – Il paraît malade, dit Paindorge.
    – Il souffre, acquiesça Quéguiner.
    – Il ne souffrira jamais assez, broncha Paindorge.
    – C’est sa tête, pas son âme qui prend les coups, dit Tristan. À sa place, j’aurais refusé d’aller guerroyer contre les miens. J’aurais fait mieux encore en restituant au roi l’épée de connétable. Elle aurait vélocement trouvé preneur… Or, ce renoncement eût été un geste d’honnête homme. D’ailleurs, il faut en convenir, la guerre, sous quelque forme qu’il l’ait faite, a été sa préférée maîtresse. Elle le restera jusqu’à sa mort.
    – Sa mort… murmura Paindorge avec une sorte d’impatience.
    – Je crois qu’il se sent vieux, dit Quéguiner.
    – Grand bien nous fasse, ajouta Tristan d’un ton pensif sans crainte d’indigner l’arbalétrier.
    Pour lui qui l’avait attentivement observé, subi et défié, Guesclin adolescent avait dû assidûment étudier les comportements humains en essayant de comprendre les usages et les idées qui régissaient les rapports du commun, de la bourgeoisie, de la noblesse et du clergé avec la royauté. Adulte, plutôt que de se laisser mener par une saine circonspection, ce rustique en proie à un courroux maladif envers son entourage s’en était purgé par l’aversion de tous ceux qui offensaient sa vue ou troublaient son entendement. Les chevaux eux-mêmes avaient subi son ire. Pour se délecter d’occire un homme, il ne barguignait point à les sacrifier. Ainsi, à Dinan, pour vaincre Thomas de Canterbury 335 coupable de lui avoir ravi un frère écervelé, il avait meurtri d’un coup de dague la monture de son adversaire. Sa passion des querelles et des combats francs ou perfides lui avait fait sentir, par des exemples topiques, ce qu’avait dû être, lors des affrontements désastreux pour les Lis, la conduite des maréchaux, capitaines, mercenaires et piétons, tous jamais à court d’excuses. Peut-être les avait-il haïs en éprouvant aussi, à leur intention, un lourd sentiment de vergogne qu’il ensevelissait sous une jactance et des ébaudissements un peu trop bruyants pour être sincères. Joie, certitude et contentement de vivre en restorier 336  ? Plutôt satisfaction d’exister par et pour la guerre.
    – Je ne sais rien de lui excepté ses méfaits, dit Tristan. J’essaie parfois de le comprendre.
    – Oh ! s’indigna Paindorge.
    – De le comprendre sans l’absoudre. Il m’advient de quitter mon sommeil pour penser longuement à lui… La nuit, depuis Montiel, il me vient éveiller. Est-il utile ou non à la Chevalerie ? Voilà ce qu’il me demande.
    – Et que lui dites-vous ? questionna Quéguiner.
    – Qu’il est utile à Belzébuth.
    Le Breton s’abstint du moindre commentaire : il digérait une réponse qui peut-être correspondait à son attente.
    – En tout cas, dit Paindorge, il a su devenir grand-indispensable. Connétable de France, connétable de Castille… Excepté les Bretons qu’il a meshaignés, il est loué par la bonne gent de France.
    – Parce que le peuple ne sait rien. Parce qu’il a lui, Bertrand, empilé des victoires auxquelles plus personne ne s’attendait… Mais il faudrait demander l’avis des morts qu’il a fait occire.
    À mesure que le fragile bien-être des populations françaises s’était noyé dans les ténèbres de la peur en raison des énormités commises par les Anglais, les Jacques, les Tard-Venus, les Navarrais et une fois encore les Anglais, les pensées de Guesclin s’étaient affermies. Un jour – quand ? il était impossible de le deviner -, il avait été certain que la plèbe tout entière et son émanation, l’armée, pouvaient être subjuguées et manœuvrées pour peu qu’il sût s’y prendre. De même qu’une maladie infectieuse se propageait insidieusement dans un corps jusqu’à le contaminer irrévocablement, un homme victorieux pouvait progressivement enfiévrer un peuple et lancer ses guerriers confiants sus aux ennemis. À l’aversion des Français, nourrie et développée contre les maufaiteurs de toute sorte, succéderait une admiration sans réserve pour celui qui les ferait vainqueurs. En s’interrogeant à l’infini sur un devenir héroïque alors qu’il eût pu vivre

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