Les turbulences d'une grande famille
automobiles, à Chalais-Meudon pour y accueillir les héros. Assemblés devant le hangar de service, les responsables de l'expérience en cours et les officiers de la base de Chalais-Meudon discutaient de la façon dont les sapeurs aérostiers assureraient pour le mieux les manœuvres au sol. Trouvant sans doute que l'atterrissage devant le hangar, comme on l'avait d'abord prévu, serait trop dangereux à cause des arbres avoisinants, le pilote Juhmès actionna la soupape afin de se poser avant l'obstacle, dans une prairie toute proche. Le Lebaudy s'apprêtait déjà à prendre contact avec la terre ferme par sa béquille. Les hélices étaient arrêtées. Mais, avant que les sapeurs aérostiers eussent pu saisir les amarres, une brusque rafale de vent rabattit le dirigeable sur un arbre qui se dressait à proximité. Perforée dans le choc, l'enveloppe se déchira sous la pression intérieure du gaz. Vidé d'un seul coup, comme un corps privé de son âme, l'appareil tomba lourdement, d'une hauteur de six mètres. Les trois Lebaudy et l'ingénieur responsable seprécipitèrent vers les lieux de la catastrophe. Par miracle, la plate-forme de protection se trouvant au-dessus de la nacelle avait résisté à la secousse de la collision. Enfermés dans cette espèce de cage rigide, les occupants en avaient été quittes pour la peur. Mais le Lebaudy était sérieusement endommagé. Pour consoler les initiateurs du vol, les officiers de la base les assurèrent que, d'après les observations faites par eux, le but de l'expérience avait été atteint et même dépassé. En effet, le glorieux engin avait parcouru dans les airs, d'une seule traite, sept kilomètres et huit cent cinquante mètres en trente-six minutes ; sa vitesse moyenne avait été de sept mètres soixante-dix-sept par seconde ; sa hauteur avait oscillé entre cent et deux cent vingt mètres. Selon les connaisseurs, ces chiffres, d'une précision indiscutable, classaient les frères Lebaudy au premier rang des serviteurs de l'aérostation nationale.
Comme pour répondre à l'attente de tous ces admirateurs anonymes, les trois Lebaudy mirent en chantier, dès les premiers mois de 1904, un nouveau dirigeable, le Lebaudy n°2, qui était une reproduction sensiblement améliorée du Lebaudy n°1, alias le Jaune, détruitl'année précédente au parc aérostatique de Chalais-Meudon. Sans accroître la longueur de l'appareil, on augmenta le volume de gaz grâce à un arrondissement de l'enveloppe à l'arrière, on doubla cette enveloppe par deux épaisseurs de caoutchouc et on perfectionna la stabilité de l'ensemble par l'adjonction, à la queue du ballon, d'un aileron de huit mètres de largeur. Ainsi revu et corrigé, le Lebaudy n° 2 reçut lui aussi, dès ses premiers essais, les compliments des spécialistes.
En parcourant les commentaires élogieux des journaux, Amicie se rappelait le temps où elle se recroquevillait de honte et de colère dès qu'il était question de son mari dans quelques gazettes « bien parisiennes » à propos du krach de l'Union générale. Pour une fois, le nom de Lebaudy, qu'elle avait voulu si souvent jeter aux orties, était à l'honneur dans la presse. Il y avait là, pensait-elle, une juste revanche sur l'ignominie dont Jules s'était rendu coupable jadis et qui avait, par contrecoup, éclaboussé tous les siens. Pouvait-elle tenir rigueur à son fils et à ses neveux de leurs extravagances, alors qu'ils en avaient profité pour redonner du lustre à une famille si longtemps vilipendée ? D'ailleurs, la France entière semblaitatteinte, à présent, de la maladie de la lévitation. A côté des dévots du ballon captif et de l'aérostat s'installaient superbement ceux de l'aéroplane. Ces émules du « plus lourd que l'air » s'extasiaient devant les exploits des rares casse-cou qui décollaient du sol sur d'étranges cerfs-volants à moteur et arrivaient à se maintenir quelques instants en l'air, au péril de leur vie. Ils ne juraient que par les noms d'Ader, de Voisin, de Wright, tandis que leurs opposants invoquaient les performances, autrement convaincantes à leurs yeux, des dirigeables du type Lebaudy. On discutait ferme aux séances de l'Aéronautique Club de France, fondé dès 1897. Chacun y tirait à soi la couverture céleste. En apprenant que l'armée elle-même s'intéressait aux ballons captifs, aux ballons libres, aux dirigeables et aux aéroplanes, Amicie se retrouva placée devant une question
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