Les turbulences d'une grande famille
à la cour d'arbitrage de La Haye en ce qui concerne la légalité de la fondation de son empire. Il a fait savoir qu'il n'était pas accessible comme un simple particulier et que ceux qui se présentent, même les plus hauts personnages, doivent lui adresser par écrit une demande d'audience. » Le Figaro, lui, affirmait que l'empereur Jacques I er allait créer un ordre : le « mérite du Sahara », dont les insignes porteraient « des lamelles entrecroisées sur fond de pourpre, avec appliques de petits rubis, trois pour la deuxième classe, cinq pour la première 1 ». Quant à Hidoux, il était heu-reuxd'annoncer que, le 1 er janvier 1904, il y aurait à Troja (ville inexistante, mais déjà proclamée capitale) une liesse populaire avec feu d'artifice et qu'elle serait présidée par l'empereur en personne. Mieux, ce jour-là paraîtrait le journal officiel du nouvel État. Son titre : Le Sahara. Sa devise, qui serait aussi celle de l'Empire : Liberté de conscience, Force, Travail, Industrie, Commerce, Agriculture. Labor improbus omnia vincit. Cette jeune nation aurait comme représentant, au dire de Hidoux, un seul diplomate, lequel se fixerait à La Haye et serait « un sportsman bien connu et portant un grand nom de France ». Les journaux ne précisaient pas qui hériterait de ce poste aux responsabilités écrasantes, mais déjà des noms circulaient, accompagnés de plaisanteries qu'Amicie jugeait du plus mauvais goût.
Le 10 septembre 1903, le capitaine Jaurès regagnait Toulon avec, à bord du Galilée, les cinq marins rescapés. Une lettre de l'empereur Jacques I er lui parvint, le jour même de son arrivée, dans laquelle Sa Majesté le remerciait de son intervention, tout en déplorant que le manque de volonté des gouvernements français, espagnol et portugais ait mis ses propres navires « dans l'impossibilitématérielle de châtier des indigènes rebelles et de mauvaise foi ». Sans se démonter, le capitaine Jaurès chiffra les frais de son expédition et présenta la note : vingt-cinq mille francs. Quant aux matelots, ils exigèrent des dommages et intérêts exorbitants. On parlait de cinquante mille francs par personne. L'opinion publique était de leur côté. Le 19 septembre, L'Illustration, de tendance pourtant fort modérée, imprimait un article critique à l'égard de l'empire du Sahara et de son souverain, Jacques Lebaudy, « qui avait eu l'ambition d'échanger sa casquette de yachtman contre la couronne fermée, surmontée de la sphère mondiale et du croissant substitué à la croix ». Toute la presse se félicitait de la délivrance des otages et condamnait le responsable de ce stupide imbroglio, qui aurait pu conduire à un massacre et qui se terminait en farce. Alors que Le Petit Journal illustré publiait un récit, avec images à l'appui, du calvaire des marins français « abandonnés par l'empereur du Sahara et libérés par leurs compatriotes du Galilée », Jacques Lebaudy s'obstinait dans ses fantasmes de millionnaire mégalomane, commandait un trône à un ébéniste du faubourg Saint-Antoine, envisageaitla création d'un corps de méharistes spécialisés dans le va-et-vient entre les oasis, envoyait à Las Palmas un chargement de drapeaux de l'Empire saharien et, à en croire Le Journal, poussait la prévoyance jusqu'à acheter une guillotine, pour être sûr que les sentences capitales prononcées par ses tribunaux seraient exécutées selon les règles de l'art.
Enfin, le 1 er janvier 1904, sortit des presses le premier numéro du quotidien Le Sahara, fondé par Jacques Lebaudy (et dont il n'y eut jamais de numéro 2). Des camelots à sa solde distribuèrent le journal gratuitement dans les rues. Quand cette feuille ambitieuse et revendicatrice tomba sous les yeux d'Amicie, elle eut un serrement de cœur, dû à un mélange de colère, de pitié et d'angoisse. Sous le titre Le Sahara, une indication laconique : « Direction, administration, Troja (Sahara). » L'éditorial, manifestement inspiré, sinon rédigé, par Jacques Lebaudy, insistait sur la légitimité de l'empire, sur la duplicité des marins du Frasquita et sur la conduite éhontée des gouvernements français, espagnol et portugais à l'égard de la noble entreprise de Sa Majesté. Dès le début, le ton était celui de lapolémique : « Profondément dégoûté, écœuré par le spectacle qu'offre actuellement la France où les saintes traditions de liberté sont chaque jour
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