Les turbulences d'une grande famille
impunément violées, où la décadence des mœurs s'étale sans que le peuple émasculé se révolte, où les intrigues de palais accablent un gouvernement sans conscience, Sa Majesté a pris la résolution de fonder une nouvelle patrie, une terre récemment appelée par lui à la civilisation. [...] La presse française, payée sur les fonds secrets, mène une abominable campagne contre l'empereur. »
Par moments, Amicie avait l'impression de lire une déclaration de son cher Paul Déroulède et cela lui remontait le moral. Mais certaines prises de position du porte-parole de Sa Majesté étaient plus alarmantes : « L'attitude hypocrite de l'Europe est cause que Sa Majesté soutiendra l'Islam contre la chrétienté. Avant longtemps, le pavillon du Sahara flottera de l'Atlantique à la mer Rouge et servira de ralliement à trente millions de musulmans, actuellement divisés et n'ayant pas conscience de leur force. » Ailleurs figurait une protestation des fidèles partisans de l'empereur contre les politicardsintrigants qui cherchaient à l'exclure par avance de la conférence d'Algésiras, ce qui condamnerait cette réunion à l'impuissance, « car seul Jacques I er peut empêcher le cataclysme mondial qui se prépare ». Un autre écho, d'une perfidie calculée, rappelait qu'en France des individus malintentionnés avaient l'habitude de dénoncer comme fou et de faire enfermer dans un asile, avec la complicité d'un médecin, tout porteur d'un grand rêve, pour peu qu'il eût « du répondant » ! L'allusion était claire : « Des parents, et certains cousins [d'un personnage en vue], allumés par l'espoir de s'approprier une très grosse fortune, auraient eu l'idée de faire passer pour fou le parent riche qui en dispose. L'intéressé a été averti à temps de ce machiavélique projet. » Une indiscrétion plus souriante révélait aux lecteurs que Sa Majesté offrait un prix de cinq mille francs pour l'organisation de courses sur son territoire et que les chevaux étrangers seraient admis à concourir s'ils s'inscrivaient dès maintenant à la « Société impériale des Courses », à Troja. Promesse d'autant plus hasardeuse qu'il n'y avait pas la moindre trace d'hippodrome sur les terres de Jacques I er . Suivait un appel à desvolontaires pour servir dans l'armée impériale : « Devenez sahariens, il y a là un empire naissant où, si vous voulez être soldat, ce sera de votre plein gré et contre une forte solde. » Dans d'autres rubriques, le rédacteur des informations sahariennes affirmait que les bureaux d'embauche de l'empire étaient submergés et que, vu le nombre de demandeurs d'emploi, les postulants à l'immigration devaient très vite se faire connaître. Mais, précisait le journaliste, Sa Majesté n'acceptera pas de Français dans ses services tant que Paris n'aura pas modifié son attitude malveillante à l'égard de l'empereur. D'autre part, la même plume indiquait que les examens pour l'admission à l'École religieuse du Sahara auraient lieu en 1906. « Les candidats, était-il spécifié dans l'article, devront être affranchis de toute superstition et avoir l'esprit préparé à l'initiation aux vérités éternelles. » Une adresse était indiquée pour centraliser les inscriptions : « Ambassade de l'empire du Sahara en Europe, à Bruxelles, Belgique. »
Ce n'était pas pour rien que Jacques Lebaudy avait choisi ce pays pour y établir son unique et hypothétique ambassade.Après un bref séjour à Londres, il s'était installé à Bruxelles, au numéro 53 de l'avenue Louise, sous le nom de marquis de Raray, duc d'Arleuf. Malgré ce changement provisoire d'identité, il se considérait toujours comme l'empereur du Sahara, distribuant promotions et titres nobiliaires, transformant son secrétaire parisien Benoît en comte de Ludes, Hidoux en comte de Chigny et Baussy en comte de Baussy avec les attributions de ministre impérial 2 . Quant à sa maîtresse, la discrète Augustine Dellière, l'ayant convaincue de retourner vivre dans le pays de son enfance, à Lapalud, près de Montélimar, il lui avait déclaré que, vu sa situation d'exceptionnelle grandeur, il ne pouvait se permettre d'avoir à ses côtés une concubine. Cependant, il l'assurait que, pour la remercier de ses loyaux services, il l'épouserait et la ferait couronner impératrice dès qu'il aurait regagné Troja et réglé ses différends avec les puissances européennes encore hostiles à sa
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