Les valets du roi
à prononcer. Il devint donc Mathieu. Je suis certainement le seul pourtant à le prénommer. Pour tous, aujourd’hui, il est devenu le marquis de Baletti, patricien au Grand Conseil de la république de Venise. De sorte que la surprise qu’il provoqua chez moi autrefois s’est transformée en admiration et respect.
— Comment en est-il arrivé là ? s’étonna Emma, de plus en plus intriguée.
— A cause, justement, de cette fameuse colère dont je vous parlais, chère madame. Je trouvais absurde qu’il gâche son temps et ses capacités auprès d’un vieillard qui reproduisait les secrets des anciens sans rien y apporter. Mon talent avait été dans mon métier, je vous l’ai dit, pas hélas dans ma passion. J’avais installé mes cornues dans une des chambres, au grand désespoir de mon épouse qui considérait comme irresponsable et criminel la construction d’un four alchimique dans cette bâtisse. Dans l’emportement que mit Mathieu à me prouver son attachement et sa certitude d’atteindre au grand œuvre, il renversa un acide qui attaqua aussitôt la cire du plancher. Pour rien au monde il n’aurait voulu mécontenter mon épouse.
— C’est bien vrai, nota M me Dumas. Mathieu ne perdait aucune occasion de m’être agréable.
— La catastrophe coupa net ma colère et son élan. Il se précipita, revint armé de chiffons et m’assura qu’il allait tout remettre en état avant le retour de Jeanne, partie au marché. Il refusa mon aide, arguant que s’activer à quatre pattes était indigne du grand procureur que j’avais été. La vérité était que mes rhumatismes me faisaient souffrir atrocement à l’époque et qu’il ne voulait pas me vexer. Il a surgi ici même, quelques minutes plus tard, après avoir dévalé l’escalier, me sommant de l’accompagner, affirmant qu’il avait fait une miraculeuse découverte, qu’il fallait des bougies, des bougeoirs, une lanterne… Il était si excité que j’ai rassemblé le tout sans discuter, sans même en demander davantage. Il avait consciencieusement entrepris de décaper le plancher, tirant dans le corridor le peu de mobilier qui encombrait la pièce, y compris la table recevant les cornues. Dans un angle du mur de la chambre se trouvait le coffre que voici.
Il désigna celui frappé d’une salamandre qu’Emma avait aperçu en arrivant.
— Nous en avions pris possession en même temps que la maison. Ni ma femme ni moi n’avions envisagé de le déplacer. Mathieu s’y était employé, dégageant l’espace qu’il occupait. C’est en s’accroupissant au sol qu’il avait réalisé que ce qu’il avait pris à première vue pour un rajout de planches était en réalité une trappe.
— Où menait-elle ? demanda Emma, certaine déjà de la réponse.
— Dans une salle voûtée et circulaire, sans doute une ancienne cave, au terme d’un étroit escalier enclavé dans la muraille. Nous n’avions jamais remarqué que la pièce située au-dessous de la chambre était plus petite qu’à l’étage. Il eût fallu mesurer pour en juger. C’est plutôt inhabituel, vous en conviendrez. A quelles fins ? Cela demeure un mystère. Quoi qu’il en soit, ce passage avait été muré, peut-être sur l’ordre d’Anne de Pisseleu elle-même. N’en parle-t-elle pas dans son journal ?
Emma secoua négativement la tête. Et pour cause ! Elle était bien trop impatiente de la suite. Maître Dumas enchaîna, ravi au fond de cet auditoire plus attentionné qu’un enfant devant un conte merveilleux :
— Ce qui me fascina dans un premier temps furent les coffres que cette salle contenait. Ils étaient au nombre de sept. De même facture et tout aussi volumineux que celui déplacé dans la chambre par Mathieu. « En les ouvrant, nous demeurâmes stupéfaits. Bijoux, gemmes, or, étoffes somptueuses, tapis, vaisselle rare de porcelaine, de verrerie. Tout ce qui avait été précieux pour Anne de Pisseleu, tout ce que François I er avait offert à sa maîtresse en gage de son amour était rassemblé là, dans ces coffres au couvercle orné des deux blasons mêlés du roi et de sa favorite.
— Comme Diane de Poitiers et Henri II, le fils même de François I er , interrompit M me Dumas.
— Le crâne de cristal en faisait partie, n’est-ce pas ? s’enquit Emma, pour couper court à ces digressions.
Elle se désintéressait des histoires d’amour d’Anne de Pisseleu, du roi, de son fils ou du reste du
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