Les valets du roi
répondant à l’invitation courtoise de son hôte, s’installa dans un des fauteuils qui complétaient le mobilier de la pièce.
Elle n’eut pas le cœur de refuser la liqueur de verveine que M me Dumas lui proposait et s’empara du verre qu’elle lui tendait avec une sincère curiosité. Seuls les maîtres verriers de l’île de Murano, à Venise, pouvaient souffler le verre avec autant de finesse et de précision.
— Je connais le but de votre visite, madame, attaqua maître Dumas d’emblée. Tout ce que vous pouvez voir ici corrobore parfaitement l’histoire qu’on a dû vous raconter à mon sujet. Comme d’autres avant vous, friands de mystère et de diablerie, vous repartirez en vous étonnant de mon âge avancé, mais bredouille. Je n’ai pas d’explication à donner.
— Je vous prie de m’excuser, maître Dumas, réagit aussitôt Emma. Il n’est pas dans mes habitudes de considérer les êtres auréolés d’étrange renommée comme des phénomènes de foire. Ma visite ne répond pas aux ragots, mais à une quête, bien au-delà de ce que vous pouvez imaginer.
— En ce cas, s’adoucit maître Dumas en souriant, je vous écoute, madame.
— Il se trouve que je suis une parente éloignée d’Anne de Pisseleu. Descendante d’une sœur de sa mère. Elle était propriétaire de cet hôtel particulier, si je ne me trompe.
Maître Dumas hocha la tête et Emma comprit qu’elle avait marqué un point dans son estime. Son œil s’était illuminé furtivement d’un éclair d’intérêt. Elle feignit de ne rien remarquer et poursuivit le mensonge qu’elle avait préparé.
— Je suis entrée en possession, il y a quelques mois de cela, d’une malle contenant divers objets ayant appartenu à Anne de Pisseleu. Parmi ceux-ci son journal intime. J’avoue avoir pris plaisir à le lire et me suis sentie proche de mon aïeule, au point d’avoir eu envie de retrouver certains lieux et objets qu’elle aimait.
— Est-ce dans ce journal que vous avez découvert cette adresse ?
— En effet, monsieur. Je mentirais en disant que j’y suis venue par hasard.
M me Dumas blêmit et porta ses mains à ses lèvres fines.
— Alors vous savez… gémit-elle.
Son époux lui lança un regard dur, pour lui intimer l’ordre de se taire. Se fiant à son intuition, Emma profita de leur trouble.
— Rassurez-vous, continua-t-elle avec délicatesse. Loin de moi l’idée de revendiquer cette fortune dont vous jouissez. J’en possède bien assez moi-même. Dans la mesure où vous l’avez trouvée, elle vous appartient…
— Je vous en remercie, la coupa maître Dumas, l’œil plus perçant que jamais.
Il avait au long de sa carrière appris mieux qu’aucun autre à reconnaître la fourberie et, aussi éclatante et charmeuse que soit sa visiteuse, il demeurait persuadé qu’elle mentait.
S’il n’était pas dupe de sa parentèle, il devait reconnaître qu’elle ne ressemblait pas à ces curieux qui, sous des prétextes souvent futiles, venaient le visiter. Emma de Mortefontaine était d’une autre trempe, et il était curieux de découvrir laquelle.
Emma toussota légèrement dans son mouchoir de dentelle. Elle brûlait d’envie de connaître l’âge de cet homme, qui la scrutait sans s’en cacher le moins du monde, comme s’il était au-delà de toute convenance. C’était souvent l’apanage des anciens. Elle n’avait rencontré cela qu’une fois dans sa vie. En Irlande, chez ce voisin qui lui avait fait un procès. Peu de temps avant de mourir, celui-ci avait exigé qu’elle lui rende visite. Emma y avait consenti par curiosité et aussi par bravade. Elle avait obtenu ce qu’elle souhaitait. Grâce à William Cor-mac, la plainte de l’acariâtre, comme elle se plaisait à l’appeler sans le connaître, disparaîtrait avec lui.
Il l’avait reçue alité, prêt à passer et cependant plus digne qu’elle ne l’aurait pensé. Elle s’était présentée à lui certaine de son triomphe, ravie d’avoir gagné cette guerre d’intérêt, mais en était repartie troublée, gênée et honteuse. L’acariâtre avait montré dans son discours plus de grandeur d’âme et d’honneur qu’elle n’en aurait jamais. Au point qu’Emma de Mortefontaine avait, avec respect, accompagné le pas du cheval menant le corbillard au cimetière. Pour une fois dans sa vie, Emma de Mortefontaine avait éprouvé du regret.
Maître Dumas faisait sur elle le même effet. Elle décida
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