Les valets du roi
d’en terminer avant de se sentir désagréablement vulnérable.
— Anne de Pisseleu faisait souvent référence à un objet étrange qui la fascinait au plus haut point et qu’elle se fit offrir par François I er en même temps que cet hôtel. Un objet en cristal.
— Je suppose que vous voulez parler du crâne, répondit aussitôt maître Dumas.
Emma sentit les battements de son cœur s’accélérer. Elle hocha la tête et ajouta :
— Vous l’avez donc découvert…
Ce fut M me Dumas qui répondit cette fois :
— Il se trouvait avec le reste du trésor d’Anne de Pisseleu.
Son mari poursuivit, agacé que sa femme en dévoile plus qu’il ne le souhaitait. Il n’avait pourtant plus le droit de se taire. Le mieux qu’il pouvait faire pour tester sa visiteuse était, au fond, de tout lui révéler. Il n’avait plus grand-chose à perdre de toute manière. Il était bien trop vieux désormais pour s’inquiéter de quoi que ce soit, même si sa curiosité était loin d’être satisfaite.
Celle-là seule le tenait en vie.
Celle-là et les préparations alchimiques.
— J’ai acheté l’hôtel de la Salamandre il y a presque vingt ans, reprit-il après avoir demandé à son épouse de leur resservir une rasade de liqueur de verveine. Je venais de prendre ma retraite et avais accumulé un joli pécule. Logé grâce à ma fonction de procureur, j’étais alors sans maison et celle-ci était à vendre. Mon épouse la jugea à son goût, d’autant qu’on nous apprit qu’elle avait abrité les amours du roi de France et de sa favorite. Jeanne, mon épouse, était passionnée d’histoire. Mon intérêt à moi était d’une autre nature. J’ai toujours cherché le grand œuvre…
— Le grand œuvre ? l’interrompit Emma.
— La pierre philosophale, l’élixir de longue vie, l’art de transformer le plomb en or pur. J’aime, bien au-delà de ces contingences purement matérielles, distiller les eaux fortes et le vif-argent, utiliser l’antimoine et la racine de mandragore. J’aime jouer les apprentis sorciers et me mêler de science sur les traces des grands initiés. Je ne suis pourtant qu’un amateur et mes filtres ont tout juste servi à nettoyer quelques pierres précieuses des taches qui les souillaient. J’avoue sans honte que la passion n’est pas tout. L’intelligence moins encore. Il faut le don et la prescience. Je ne les ai jamais eus. J’avais à cette époque, en revanche, un disciple brillant, avisé, curieux et fort jeune. Une quinzaine d’années à peine. J’étais censé lui enseigner mon métier de procureur, mais il s’intéressa davantage à mes lubies et s’y montra si efficace que, ma retraite prise, je le reçus bien volontiers en visite ici, pour continuer ses recherches, chaque fois que ses loisirs le lui permettaient.
« Autant dire que ce fut de plus en plus souvent. Jusqu’au jour où je m’emportai de le voir gâcher son avenir en demeurant ainsi à mes côtés. Manquant de sérieux à l’Université, il s’était fait renvoyer et sa carrière de procureur s’était éteinte avant d’avoir commencé.
— Qui était-il ?
— Son origine est une énigme, avoua maître Dumas. Il s’est avancé un matin comme je descendais de voiture, a brandi une bourse rebondie, un regard droit et fier et m’a apostrophé en disant : « Je veux devenir procureur à votre exemple. Enseignez-moi car vous seul le pouvez. Je vous paierai plus et mieux qu’aucun autre. » C’était contre toute pratique. Je crois que c’est cela qui me plut chez lui. Je l’ai fait entrer et l’ai interrogé. En moins d’une heure, il m’a convaincu d’une éducation solide, d’une pertinence, d’une intelligence et d’une vivacité d’esprit hors normes dont beaucoup se seraient félicités. De son enfance, il m’avoua seulement être orphelin, de noble naissance, mais menacé d’être tant persécuté s’il en révélait le secret qu’il préférait la taire et l’oublier à jamais. Je dus me contenter d’hypothèses, mais aucune qui me satisfît. Chaque fois que j’avais le sentiment d’approcher sa vérité, il lançait, avec une fausse innocence, un argument pour la contredire et m’en éloigner. Je vous l’ai dit, madame, il était très doué.
Maître Dumas s’interrompit pour se moucher longuement, puis reprit :
— Quant au nom de ce garçon, il me demanda de lui en choisir un qui me plaise assez pour qu’il me soit agréable
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