Les valets du roi
l’imaginer.
— Si c’est vrai, accorda l’Espagnol, alors tu es la providence.
— Aie confiance en moi.
L’Espagnol haussa les épaules.
— Je suis ivre, l’Anglais. Pas stupide. Malgré la carte, sans moi tu ne l’atteindras pas, insista-t-il.
— Tu as ma parole. Dès cet instant nous sommes associés.
L’Espagnol hésita encore quelques secondes, puis délivra sa conscience de son lourd secret.
Lorsqu’il eut achevé sa confidence, Tobias Read fit un signe à l’Homme en noir. Celui-ci dégaina un poignard de sa ceinture. L’Espagnol gémit.
— Que fais-tu de ta parole, l’Anglais ?
— Les promesses n’engagent que ceux qui les croient, répondit Tobias, comme l’Homme en noir lui perforait le cœur.
Puis celui-ci détacha du cou de l’Espagnol agonisant une chaînette sur laquelle un étrange pendentif oscillait, et la tendit à Tobias. Ce dernier la fourra dans la poche de son manteau, tout à côté de la carte pliée en quatre que lui avait confiée l’Espagnol, laquelle marquait l’emplacement du trésor.
Abandonnant sa victime sans remords, Tobias Read sortit de l’impasse, excité comme il ne l’avait jamais été par ce qu’il venait d’apprendre. Sur ses talons, l’Homme en noir était tout aussi troublé. Il le raccompagna à sa voiture avec ses hommes, puis ils s’éparpillèrent dans les ruelles malfamées.
Tobias Read se fit reconduire chez lui, dans les beaux quartiers de Londres, non loin du palais royal, excité par sa découverte fabuleuse.
— Ah ! Monsieur, se précipita son secrétaire, à peine en eut-il franchi le seuil, je désespérais de vous retrouver. Une terrible nouvelle vient de nous faucher. C’est votre mère…
Tobias Read blêmit, remit son chapeau qu’une domestique venait de prendre. Il n’avait pas besoin d’en entendre plus : la pudeur anglaise savait dire les choses les plus terribles sous les mots les plus anodins. Il se remit en route pour se rendre au chevet de sa mère, distrait brutalement de ce fabuleux trésor et de ses secrets.
*
— V ous ne pouvez entrer, annonça Jenny, en larmes, à Mary, votre grand-mère est morte cette nuit. Le pasteur Reeves est auprès d’elle.
Mary éclata en sanglots, et Jenny lui ouvrit la porte.
— Pauvre, pauvre garçon ! s’apitoya-t-elle en la pressant contre son sein.
Le chagrin de Mary n’était pas feint. Ce n’était pourtant pas lady Read qu’elle pleurait, mais ce qu’elle perdait à sa disparition.
Jenny lui accorda finalement de grimper à l’étage, et de se rendre dans la chambre de sa grand-mère. Le pasteur Reeves s’y trouvait déjà, occupé à brûler de l’encens.
La visite de Mary l’ennuya, sachant qu’elle indisposerait Tobias Read qu’il avait fait prévenir. Il n’eut cependant pas le cœur de la chasser.
— Accordez-moi quelques instants, mon révérend, demanda Mary en larmes, elle fut si bonne pour moi.
— Dépêchez-vous, mon enfant, lui concéda-t-il en lui pressant l’épaule avec compassion. Votre oncle ne va pas tarder.
Mary hocha la tête et, s’agenouillant devant la dépouille de lady Read, fit semblant de se mettre à prier.
À peine fut-elle seule qu’elle ramassa un des chandeliers qui veillaient la défunte, pour assurer l’avenir de Cecily et le sien. Avec rapidité et efficacité, elle entreprit d’ouvrir chaque tiroir et de fouiller chaque meuble, prenant soin de pleurnicher bruyamment pour enlever toute envie au pasteur Reeves de la déranger.
Elle fourra dans ses poches quelques pièces trouvées dans un pot, un collier de perles, et un pendentif représentant une salamandre enroulée autour d’une émeraude. Mary aurait voulu rafler l’ensemble des bijoux. La prudence l’en empêcha. Peu passeraient inaperçus, éloignant d’elle le risque de se voir pourchassée par la maréchaussée.
Elle sortit ensuite de la chambre en se mouchant ostensiblement. Il était temps. Elle entendit Tobias Read qui s’entretenait avec le pasteur dans le vestibule. Elle descendit en redoublant de larmes, se pinçant au coude pour mieux les provoquer.
Tobias la considéra d’un œil dépourvu de pitié. Mary comprit aussitôt qu’elle ne s’était pas trompée. Son jugement serait sans appel ! A peine le pasteur se fut-il écarté, selon les ordres qu’il venait de recevoir, que Tobias se planta devant elle.
— Cessez de pleurnicher ! Et comportez-vous en homme, puisque ma chère mère imaginait
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