Les valets du roi
après lui avoir fait l’inventaire de son propre legs. Je ne doute pas, avait-il poursuivi, que vous accepterez toutes les clauses de ce document.
Tobias Read s’était contenté de hocher la tête, tandis que le notaire ajoutait en toute bonne conscience :
— Bien évidemment, si votre neveu décédait avant sa majorité, étant entendu que vous demeurez son tuteur de biens, c’est à vous que reviendrait son héritage, et non à sa mère. Lady Read y tenait tout particulièrement.
— Évidemment, avait répété Tobias, soulageant sa tension d’un bloc, plus déterminé que jamais à éliminer ce gêneur.
La difficulté rencontrée par son mercenaire pour lui mettre la main au collet en était d’autant plus exaspérante. En effet, malgré tous ses efforts et ses indicateurs, l’Homme en noir ne parvenait pas à les localiser à temps. Chaque fois qu’il surgissait, Cecily et Mary venaient de filer.
Tobias Read avait décidé de se rendre en Espagne dans la famille de sa victime afin d’en apprendre davantage sur ce fabuleux trésor caché. Son histoire s’était transmise de génération en génération et Tobias ne pouvait s’empêcher de l’imaginer grossi à souhait. Il entrerait dans la place pour annoncer l’assassinat tragique dont son client avait été victime. Il se dépeindrait comme le héros attentif à lui porter secours, mettant en fuite les agresseurs qui l’avaient dépouillé. Sur son dernier souffle en confession, il aurait appris la vérité et juré d’en avertir les siens.
Il ne doutait pas, dès lors, d’être remercié par des confidences. Il verrait bien ainsi s’il valait ou non la peine qu’il s’embarrassât de retrouver ces fameuses et surprenantes clés. Il s’embarqua pour Cadix aux premiers jours de février.
*
L ’hiver londonien froid, brumeux et insidieusement humide semblait ôter chaque jour davantage à Cecily l’envie de se lever, de se parer, de faire illusion. Mary se désespérait de se voir rejeter à chacune de ses tentatives pour trouver un emploi. Cette instruction qui lui promettait une liberté chère au cœur de sa mère ne lui servait à rien et elle se refusait à vendre ses charmes masculinisés par ses cheveux courts.
L’argent du collier dépensé, il ne leur resta plus rien pour subsister. Mary se mit à mendier, chaparder, fouillant les immondices des auberges comme d’autres miséreux dont la mauvaise naissance compromettait la subsistance.
En quelques mois, Cecily devint squelettique. Elle ne se levait plus que pour changer de logement, laissant désormais les tenanciers se payer sur ses pauvres restes. Cela rendit Mary hargneuse lorsqu’elle le comprit.
En rentrant dans leur chambre après avoir erré sans but ni raison, à se demander si, comme Cecily, elle avait une place en ce monde, elle découvrit leur tenancier achevant de ranger son sexe dans un pantalon souillé de taches immondes. Il n’eut pas un mot pour s’en excuser, passa à ses côtés et sortit.
Cecily ramena la couverture sur sa poitrine et sourit à sa fille, diaphane.
— Te voilà déjà, ma chérie ! Comment est Londres ce matin ? demanda-t-elle comme si ce qui venait de se produire n’avait aucune réalité, aucun sens.
Mary refoula ses larmes dans sa déchéance et, de manière aussi anodine que possible, entreprit de lui raconter ce printemps qui s’annonçait.
Le lendemain, poussée par une idée et sans avoir prémédité ce qu’elle pourrait en retirer, Mary se leva aux aurores. Laissant Cecily endormie encore, elle traversa Londres pour se rendre au temple où le pasteur Reeves officiait. Elle ne l’avait plus revu depuis la mort de lady Read.
Elle dut attendre qu’il ait achevé son office avant de pouvoir lui parler. Une fois le temple vidé, elle s’approcha de l’autel, un air misérable peint sur ses traits. Le pasteur Reeves fronça le sourcil, la reconnaissant sans peine malgré sa maigreur et sa mauvaise mine.
— Eh bien, mon garçon, vous voici bien pitoyable ! remarqua-t-il avec compassion.
— Hélas, mon révérend. Par la bonté et l’amour de ma grand-mère, j’avais acquis les bases d’un avenir meilleur, mais rien de ce qu’elle espérait ne fut. De sorte que je m’en viens mendier votre pitié : n’auriez-vous point un emploi à me confier ?
Le pasteur réfléchit un moment, puis lâcha en toute innocence :
— Le notaire de lady Read vous fait rechercher, de même que
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