Les valets du roi
d’entre eux avait même construit une taverne qui se remplissait, dès les beaux jours, de tous les pirates croisant dans le secteur, venus au mouillage près de l’île. On y échangeait et marchandait tabac, vin, alcool, nourriture, et tout le nécessaire à la vie en mer, du bouton de culotte aux voilures. En quelques mois, Cork s’était taillé une belle réputation.
A Venise, il avait très vite su tirer parti de ce qu’il avait appris de droite et de gauche. Découvrant que l’ambassadeur de France, Hennequin de Charmont, se livrait à de multiples trafics d’esclaves ou d’épices avec deux autres patriciens, il les avait harcelés, coulant leur fructueux commerce, avant de leur proposer un arrangement.
— Accordez-moi l’impunité, puisque vous en avez le pouvoir, et non seulement je vous laisserai en paix, mais j’escorterai vos convois pour éviter que d’autres pirates ne s’en emparent, avait-il déclaré à l’ambassadeur.
— Je pourrais tout aussi bien vous faire arrêter ! avait hurlé celui-ci, prêt déjà à le faire.
— C’est votre droit, s’était amusé Clément en grappillant du raisin muscat dans une coupe, installé comme chez lui dans le fauteuil préféré de l’ambassadeur. Mais ce serait une erreur. Outre les marchandises, j’ai dérobé des lettres vous compromettant. Si je ne retrouvais pas mes compagnons, certaines seraient envoyées au roi de France, d’autres au doge de Venise. Votre carrière, mon cher ambassadeur, en serait tout autant compromise que la mienne, ne croyez-vous pas ?
Hennequin de Charmont avait cédé et s’en félicitait.
Cork était un fieffé coquin, mais il mettait plus d’honneur à respecter ses engagements que nombre d’autres. La cible préférée de Clément Cork étant devenue son protecteur, il lui avait fallu repartir en quête. Le marquis de Baletti, richissime armateur vénitien, était tout naturellement venu s’inscrire en tête de sa liste. Il surveillait donc les affaires de celui-ci tandis que l’hiver rendait la mer grosse et malaisée pour le commerce maritime, repérant les convois les plus intéressants que le printemps ramenait. L’année précédente il s’en était réjoui, s’attendant à ce que les plaintes de M. de Baletti embarrassent pourtant Hennequin de Charmont.
Baletti n’en déposa aucune. On rapporta à Cork que sa victime, questionnée à propos de la perte de ses navires, avait répondu en souriant : « Que voulez-vous, il faut bien que tous vivent ! Si le monde était mieux fait, les riches moins riches, les pauvres moins pauvres, les pirates passeraient davantage de temps dans leurs foyers ! »
Clément Cork était un homme intelligent bien que peu instruit. La réaction du marquis de Baletti l’avait tout d’abord surpris, puis amusé de l’imaginer aussi benêt, pour finalement l’intriguer. Soit cet homme était immensément riche au point d’accepter de perdre avec élégance quand tant d’autres s’en lamentaient, soit il était fou et inconscient, soit, et c’était l’hypothèse qui l’attirait le plus, le marquis de Baletti n’était pas ce qu’il prétendait.
Dans tous les cas, cela méritait que Clément Cork s’y intéresse.
Ce qu’il avait découvert était au-delà du concevable et força tant son respect qu’il se tenait là ce jour, devant sa porte, cherchant sans la trouver une occasion de le rencontrer.
34
— P oussez, madame ! Allons, encore un effort, poussez !
— Je voudrais vous y voir ! ahana Mary, couchée dans sa chambre, avec l’envie de pourfendre cette accoucheuse qui s’acharnait à des conseils stupides, plantée à son chevet et battant des bras comme un moulin à vent.
Comme si elle pouvait l’aider à mieux respirer, comme s’il suffisait d’éventer le visage suant de Mary pour apaiser sa douleur et sa colère ! Mary avait beau lui répéter que quelque chose d’anormal se produisait, cette incapable s’obstinait.
Epuisée, le bas-ventre écartelé, Mary finit par se dresser d’un bloc. D’une main ferme, elle lui crocheta le collier et ramena le visage de l’accoucheuse devant ses yeux cernés et furibonds. La gorge enserrée, la malheureuse roulait des yeux exorbités, incapable seulement de crier.
— Ecoute-moi bien ! éructa Mary. Tu vas aller fourailler dans mon ventre et en sortir l’enfant. Fais-toi aider si tu ne sais pas t’y prendre, mais par tous les diables et les saints
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