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Les valets du roi

Les valets du roi

Titel: Les valets du roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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trempant et retrempant son linge au chaudron dès qu’il le jugeait utile. Le simple fait de s’éloigner d’elle lui broyait le cœur. Il refusait l’idée qu’elle meure, préférant sauver Mary plutôt que l’enfant, mais on ne discutait pas avec la sorcière. Elle faisait mine de ne rien entendre.
     
    Lorsqu’il était descendu de cheval devant sa cabane dans la clairière, elle était prête. On aurait dit qu’elle l’attendait. Elle portait une besace de cuir en bandoulière et s’était avancée jusqu’à l’animal, voûtée et sèche comme une de ces racines qu’elle utilisait. Beaucoup la craignaient, prétendant qu’elle savait le langage des morts et communiquait avec eux. Sa prescience les effrayait, mais on venait la quérir lorsque la médecine ne pouvait plus rien. Souvent avec succès. Quand on trouvait porte close, c’était pour signifier qu’il fallait laisser le mourant s’en aller. Niklaus connaissait toutes les histoires qui couraient à son sujet. La voir devant sa porte l’avait rassuré.
    A présent, il ne savait plus trop.
    À peine arrivée dans la chambre où Mary gémissait, la sorcière avait préparé sa potion. Tandis que celle-ci infusait, Niklaus avait lié les poignets de Mary aux montants de fer du lit et écartelé de même ses pieds aux dormants pour l’empêcher de bouger.
    — Cuir ! avait exigé Mary.
    Niklaus avait compris. Mary avait encore sa fierté. Elle ne voulait pas hurler. Il en avait récupéré un morceau dans l’étable, l’avait rincé au whisky et lui avait mis en bouche.
    Le geste précis de la sorcière, tranchant le pubis de Mary à l’aide d’une lame effilée, avait été si rapide pourtant et la délivrance si grande qu’elle n’eut pas besoin de le mordre. Comme elle, Ann Mary, arrachée du ventre de sa mère, n’avait pas hurlé. Mary l’avait crue morte. Elle s’était sentie mourir à son tour. Jusqu’à ce que sa fille soit ranimée.
     
    La sorcière revint vers elle, armée d’une louche emplie d’un liquide brûlant. Elle le fit couler dans la plaie. Mary, cette fois, se cabra et ses yeux se révulsèrent. Niklaus ne put s’empêcher d’imaginer le pire. Lui qui avait tant perdu de camarades au champ d’honneur, bravé la mort au point de miser sur ses chances, avait peur. Peur comme un enfant.
    Il posa ses doigts tremblants sur la jugulaire, tandis qu’imperturbable la sorcière continuait à nettoyer de cette manière étrange le ventre de Mary. Niklaus se rassura : le pouls était lent et faible, mais il battait de façon régulière. Mary Read était seulement évanouie.
    Lorsque le placenta fut enlevé, la vieille s’activa à recoudre et plaça enfin entre les cuisses de Mary une étrange et malodorante boule d’argile. Ensuite, elle lui traça un signe de croix sur le front et tranquillisa Niklaus d’une main posée sur la sienne et d’un sourire.
    — Merci, lui dit-il. Merci.
    Il pressa cette main sèche, ne trouvant aucune malice sur ce visage édenté, seulement le besoin de soulager et d’apaiser. Il se promit d’adoucir la vieillesse de celle-ci en lui faisant porter chaque jour assez de nourriture et de vin pour qu’elle puisse continuer sa mission en ce monde.
    La sorcière sembla lire dans ses pensées, car un éclair de reconnaissance passa dans son regard. Elle s’écarta d’eux, récupéra Ann Mary entre les bras de Milia et la plaça au sein de sa mère. La petite s’activa aussitôt sur la pointe durcie où du lait s’écoulait déjà.
    Un cataplasme de tourbe sur la plaie acheva le traitement et la vieille femme fit signe à Niklaus qu’il pouvait bander la blessure. Elle le regarda faire en croquant dans une pomme que Frida lui avait apportée, puis ramassa ses affaires et s’en retourna comme elle était venue, refusant l’argent qu’on lui tendit, acceptant plus sûrement le panier de victuailles qui l’attendait.
    Frida attela la charrette et la reconduisit dans la forêt tandis qu’en l’auberge des Trois Fers à cheval une longue, très longue nuit commençait.
    Mary passa jusqu’à l’aube du délire au sommeil.
    Niklaus demeura là, agenouillé au bord du lit, la tête sur les draps souillés de transpiration, le nez dans ces parfums de sang et de chair brûlée, comme une nouvelle et dernière bataille à mener. Tour à tour, mû par un instinct dont il ignorait l’origine, il déplaçait Ann Mary du sein de sa mère à son côté, pour ne pas les séparer.

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