Les valets du roi
vais vous faire raccompagner.
Il la salua d’une révérence et la confia à son majordome qui, sans qu’on le sonne, s’était déjà avancé.
En remontant dans la gondole pour regagner son palais, Emma était au paroxysme de la colère. Jamais, fût-il manant ou roi, jamais aucun homme ne l’avait traitée avec autant de mépris et de légèreté ! S’il s’imaginait qu’elle allait en rester là, il se trompait.
*
C lément Cork immobilisa son embarcation une fois encore devant le porche du marquis de Baletti. On ne lui prêta pas davantage attention qu’aux autres. Beaucoup s’y arrêtaient, étonnés par le prisme lumineux que le blason du portail renvoyait. A croire que le propriétaire de cet hôtel particulier s’en moquait. La vérité était tout autre pourtant. Et depuis qu’il la connaissait, Clément Cork ne venait plus dans ce quartier avec les mêmes intentions.
Il avait quitté Calais peu de temps après le bombardement de Dunkerque et la défection de son vieil ami Corneille. Il n’avait jamais vraiment cru à son histoire de trésor, mais, par respect pour son ancien camarade de rue et de bagarres, il en avait accepté l’hypothèse. Clément Cork, la trentaine superbe, ne laissait jamais passer une occasion.
Corneille était arrivé au bon moment.
Muni d’une lettre de marque, le capitaine du Bay Daniel croisait en Atlantique depuis deux années pour le compte du roi de France. Il s’était vite rendu compte qu’il était plus rentable de se faire pirate que corsaire, malgré la réelle menace d’être pris, jugé et pendu. N’étant pas suicidaire, il s’était assuré les gains de l’un par le faux-semblant de l’autre. Les événements de Dunkerque avaient confirmé son intuition : trafiquer en Atlantique était devenu trop risqué. C’est la raison pour laquelle il avait rallié la Méditerranée après avoir quitté Corneille, qui semblait défait par la disparition de son amie Mary.
Clément Cork n’avait pas voulu ajouter à sa peine, mais il avait sincèrement pensé que ce pauvre Corneille s’était fait rouler par sa belle, partie sans lui chercher ce fameux trésor, si trésor il y avait. Quoi qu’il en soit, c’était en adversaire, sur le navire de Forbin en Méditerranée, qu’il avait retrouvé son ancien compagnon quelques mois plus tard. Forbin ne perdait aucune occasion de traquer les pirates égarés malencontreusement sur sa route. Corneille lui avait sauvé la vie alors que La Perle avait arraisonné le Bay Daniel au large de l’Espagne. Reconnaissant le sloop de Cork, Corneille avait intercédé auprès de Forbin, assurant celui-ci qu’il répondait des intentions de son ami en Méditerranée. Cork, pour accréditer la version de Corneille, avait brandi la lettre de marque qu’il avait achetée en Italie chez un faussaire renommé.
Forbin n’avait pas été dupe, Cork l’avait senti ; cependant on l’avait laissé repartir. Par égard pour Corneille qui l’avait ainsi sauvé, et à cause de sa réelle admiration pour Claude de Forbin, Clément Cork avait changé de secteur et jeté son dévolu sur l’Adriatique. Il n’avait eu qu’à s’en féliciter.
Les navires vénitiens étaient toujours richement chargés d’épices, de soie, d’esclaves en provenance de la mer Egée. La république de Venise jouissant de la neutralité au milieu des conflits qui ravageaient l’Europe, ses convois étaient rarement gardés. Les dépouiller était facile pour des hommes déterminés. Cork l’était.
Il n’aimait pourtant pas tuer pour tuer. La course, la traque du gibier l’excitait, tout comme l’appât du gain, la surprise des cargaisons, mais pas la mort ni le sang versé. Il avait donc mis au point une tactique infaillible qui lui assurait des prises généreuses à peu de risques et de frais. Les Vénitiens, souvent couards, se rendaient la plupart du temps sans combattre. Il passait donc l’hiver et la période du carnaval à Venise en repérage, abandonnant son navire à Pantelleria, une petite île au large de Malte qui accueillait les pirates. Ce n’était qu’un rocher sur la mer, mais en démâtant on pouvait dissimuler un navire dans les grottes qui s’ouvraient dans le roc. De Pantelleria, il avait rallié Malte. De Malte, Venise par liaison régulière, laissant sur la petite île nourriture et eau potable aux hommes d’équipage désireux d’y rester. Il s’en trouvait toujours une dizaine. L’un
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