Les valets du roi
homme possédait un charisme aussi puissant que le sien et, comme elle, savait en jouer. Elle n’en aurait que plus de plaisir, le moment venu, à en triompher.
Parvenu au terme d’un long corridor, meublé de chaque côté par des coffres et des consoles de bois précieux, où des miroirs immenses renvoyaient la lumière d’une verrière, Baletti s’immobilisa devant une porte. Il extirpa une clé de la poche intérieure de son gilet et l’introduisit dans la serrure.
— Attendez-vous, madame, à bien plus merveilleux que vous n’osez l’imaginer, dit-il en poussant le loquet.
Emma pénétra dans une pièce aux tentures tirées, si sombre qu’avancer d’un pouce l’aurait certainement fait chuter. Baletti referma la porte, l’enveloppant d’obscurité. Un tapis persan épais recouvrait le sol, atténuant le moindre bruit. Le souffle de Baletti se rapprocha de son oreille. Un doigt releva une mèche de ses cheveux et les reins d’Emma s’embrasèrent. Les battements de son cœur s’accélérèrent.
— Ne bougez pas, chuchota le marquis, s’attardant à la sentir frémir et n’éprouvant aucun scrupule à s’en repaître.
Il s’écarta d’elle enfin, la laissant ravie et furieuse à la fois de se sentir si vulnérable. Mary seule, autrefois, avait eu ce pouvoir sur elle. Jamais elle n’aurait pu imaginer en éprouver de nouveau les effets. Baletti se déplaça si silencieusement qu’Emma n’aurait su dire de quel côté il se trouvait. Et soudain elle fut si éblouie qu’elle dut plisser les yeux. Au centre de la pièce, posé sur une stèle de marbre noir, le crâne de cristal étincelait sous l’effet de la lumière qui avait jailli des vitres, dégagées de leurs rideaux. Un arc-en-ciel miraculeux, dont les prismes colorés se multipliaient à l’infini, dansait sur le blanc des murs.
Baletti tira un voilage devant la fenêtre, atténuant l’effet, et Emma put enfin contempler cette merveille. Elle s’en approcha et tendit la main pour le toucher. En un instant, Baletti fut près d’elle pour l’en empêcher. Son timbre si suave se fit autoritaire :
— On regarde seulement, madame de Mortefontaine.
— Que craignez-vous donc ? s’agaça-t-elle.
— Un geste malheureux. Il serait dommage qu’une telle splendeur soit brisée par une maladresse.
Elle n’insista pas, bien qu’elle eût du mal à l’imaginer possible, du simple fait de l’épaisseur des tapis. Emma se contenta donc de faire le tour de la stèle pour l’examiner au plus près. Le crâne était bien tel que l’avait décrit maître Dumas. Emma ne pouvait nier la sensation étonnante de sérénité qui, au fil des secondes, envahissait son âme. Quelque chose, c’était certain, émanait de cet objet. Quelque chose d’impalpable mais d’étonnamment présent.
— Que savez-vous de lui que j’ignore ? demanda Baletti, certain qu’Emma de Mortefontaine détenait la réponse aux interrogations qui l’assaillaient depuis tant d’années.
— Rien, mentit-elle. Ce que j’ai raconté à votre père à Paris est vrai. C’est le journal de mon aïeule, Anne de Pisseleu, qui m’a mise sur sa trace et a aiguisé ma curiosité. Vendez-le-moi, marquis. Votre prix sera le mien. Je brûle désormais, plus encore qu’hier, de le détenir et de l’étudier.
— Je le fais depuis vingt ans, madame, répliqua Baletti. La réponse à son mystère n’est pas en sa contemplation, je peux l’affirmer. Le seul secret qu’il renferme est celui de son origine. Pourtant, sa présence m’apaise et je ne saurais m’en séparer.
— Tout a un prix, objecta Emma de Mortefontaine, se détournant enfin du crâne de cristal pour se planter devant lui.
Elle répéta :
— Tout a un prix, marquis.
Il lui prit le bras en souriant, signifiant que la visite était terminée. Emma se laissa entraîner. Parvenu au bas des escaliers, il murmura en l’attirant à lui, alors même qu’elle ne s’y attendait plus :
— Vendriez-vous votre âme pour le posséder, Emma de Mortefontaine ?
Emma s’arqua sous la brûlure de ce regard qui, si proche du sien, la fouillait.
— Satan lui-même l’a déjà consumée, gémit-elle en fermant les yeux, les lèvres entrouvertes, gourmandes d’un baiser.
Le marquis de Baletti se contenta de les effleurer avant de s’écarter, la laissant frustrée et furieuse.
— En ce cas, madame, vous n’avez plus rien à m’offrir qui puisse m’intéresser. Adieu. Je
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