Les valets du roi
Elle m’apaise. A mon réveil, mes idées sont organisées et foisonnantes. D’où vient-il, Emma ? Si vous le savez, je vous en conjure, dites-le-moi. Vous me torturez à plaisir, gémit-il.
Elle abaissa son arme.
— Il provient de la cité maya de Santa Rita, au Yucatán, dans les Indes occidentales, mentit-elle. Il se trouvait à l’origine sur une stèle, à l’intérieur d’un temple. Il n’a en effet rien de sacré ou de divin, marquis. Il était seulement une des parties, la plus importante, d’une clé donnant accès à une salle secrète, aux parois étonnamment lisses et brillantes.
— Ainsi donc, il n’est pas complet, réagit Baletti, sans pourtant totalement s’en étonner.
— Deux yeux de jade enchâssant un éclat de cristal en leur centre en sont les parties manquantes, avoua Emma. Je possède un des yeux, ainsi qu’une aiguille de cristal ramassée sur place. La seule étrangeté que j’y ai constatée réside dans le scintillement des pièces, mises en présence l’une de l’autre.
— Que contient la salle secrète ? demanda Baletti, avide de davantage de précisions.
La description de ses murs à elle seule le troublait. Ce n’était pas l’aspect courant de la roche, à moins qu’elle ne fût polie et de quartz. Or il savait que cette forme de silice cristallisée n’était pas répandue dans cette partie du monde. Comme tant d’autres lieux, le marquis de Baletti l’avait explorée. Quel intérêt aurait-on eu à la construction d’un tel sanctuaire ? Qui surtout ?
— En 1523, Hernán Cortés, le célèbre découvreur du Mexique, chargea son second, le sire Alonzo de Avila, de convoyer le trésor du dernier empereur aztèque, Moctezuma. Ce trésor était le plus fabuleux jamais découvert. Vaisselle et idoles d’or et d’argent, gemmes plus gros que des œufs d’autruche, étoffes précieuses, et j’en passe. Alonzo de Avila considéra qu’en dérober une partie, la plus importante d’ailleurs, ne ferait pas défaut à Charles Quint à qui était destiné ce trésor. Il en aurait bien assez pour continuer sa guerre avec son ennemi juré, le roi de France François I er . Il s’entendit avec les commandants de bord des deux autres caravelles, qui l’escortaient, pour se taire et le partager. Lorsqu’ils en vinrent à se demander où le dissimuler, ne pouvant le transporter dans leurs soutes sans que leur trafic soit repéré à l’arrivée, l’un des trois se souvint de cette cache qu’il avait découverte à Lubaantun lorsqu’il avait été chargé par Cortés, quelques années auparavant, de s’approprier les richesses mayas. Alonzo de Avila, s’écartant des routes maritimes – il était parti de Veracruz -, gagna les côtes du Yucatán et fit débarquer le trésor de nuit, avec la complicité de quelques hommes d’équipage, noyant les autres dans l’alcool. Lorsqu’ils revinrent à bord, nul ne sut ce qu’ils avaient fait à terre. S’ils s’en doutaient, personne n’en eut la preuve. Le crâne et les yeux furent séparés, chacun sur un des navires, partagés entre les trois hommes, en gage de leur serment échangé. La malchance en étouffa à jamais le secret.
Baletti buvait les paroles d’Emma, sans parvenir malgré tout à y trouver son compte. Il se retint pourtant de l’interrompre. Enflammée par son récit, Emma était plus belle que jamais. Celle-ci poursuivait, fébrile :
— Les caravelles croisèrent la route d’un corsaire français, Jean Fleury, qui les pourchassa jusqu’à finir par les prendre. Deux des commandants, dont Avila, moururent sans rien révéler. Le troisième confia à un des marins qui les avait accompagnés, seul survivant de leur équipée, l’œil dont il avait hérité avant de quitter le Yucatán. Arrivé en France avec son incroyable prise, Fleury remit le trésor au roi, augmenté du crâne de cristal, considéré comme une de ses pièces. Fleury, n’imaginant pas que l’œil de jade pouvait s’y rattacher, conserva le bijou pour lui. Quant au second œil, le marin l’emporta, sans pouvoir jamais récupérer le trésor, se contentant d’en tracer l’emplacement sur une carte et d’en transmettre à ses descendants l’étonnant et merveilleux secret.
— Ainsi donc, c’est ce trésor que vous recherchez, lâcha Baletti, déçu définitivement.
Emma s’agenouilla devant lui, repoussa son arme d’un mouvement gracieux du poignet et entreprit de délacer son corsage, le
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