Les valets du roi
confidences qu’elle lui avait refusées. A la moindre alerte, Cork interviendrait. Baletti avait confiance en lui. Son instinct ne le trompait jamais.
Bien que parfaitement éveillé, il fit mine de sursauter et d’être surpris en découvrant Emma qui pointait son arme vers lui en souriant. La lueur tremblotante provenant des chandeliers dont elle avait pourvu ses hommes embrasait son visage. Elle n’en était que plus belle et plus redoutable.
— Vous ! s’exclama-t-il. J’aurais dû deviner que nos joutes ne vous suffiraient pas.
— En effet, mon cher marquis, s’amusa-t-elle, triomphante. Vous auriez dû me céder. J’obtiens toujours ce que je convoite. Par n’importe quel moyen.
Baletti fit mine d’être troublé et lui coula un regard brûlant.
— Malgré l’inconfort de ma posture, je dois admettre que vaincre vous va bien, madame. Si je ne savais pas que ce n’est pas moi que vous êtes venue prendre, j’aurais eu plaisir à accepter ma défaite, voire à y goûter.
Emma déglutit, et son souffle s’accéléra. Baletti n’affichait ni peur ni regrets, juste une gourmandise qui rejoignait la sienne.
— Il me faut pourtant vous tuer, marquis, prononça-t-elle, la voix rauque. Cet objet ne peut avoir qu’un seul maître.
Baletti haussa les épaules.
— Mourir de votre main sera un honneur, très chère. Il me procurera ce plaisir que tout Vénitien rêverait de connaître à vos côtés, malheureux tout comme moi de n’avoir pu vous posséder.
— Cela vous aurait été facile.
— J’en ai rêvé, murmura-t-il.
— Madame, la coupa George, agacé par cet échange, il ne faut pas traîner.
Mais Emma avait d’autres intentions.
Elle s’était demandé pourquoi le marquis de Baletti ne participait pas aux orgies vénitiennes du carnaval, elle découvrait enfin la réponse, et celle-ci lui plaisait autant qu’elle l’avait espéré. Baletti devait être un de ces êtres, hommes ou femmes, qui ont besoin d’être dominés. Décidément, songea-t-elle, il était exactement comme elle l’espérait.
— George, ordonna-t-elle, emmène tes hommes et fais le guet devant la porte.
— Ce n’est pas prudent, objecta celui-ci.
Le regard glacial d’Emma le renvoya à sa servitude. Il ravala sa jalousie et obéit sans rien ajouter. Emma conserva pourtant son arme pointée vers le cœur de Baletti, certaine qu’il s’excitait autant qu’elle de ce rapport de force.
— Nous voilà seuls, madame, et moi à votre merci.
— Que feriez-vous à ma place, marquis ?
— Je n’y suis pas, et ignore ce que vous savez du crâne pour pouvoir en juger.
— Cela a-t-il une importance ?
— Pour moi, oui. Je dors devant lui depuis vingt ans, brûlant de découvrir son origine. Vous m’avez avoué avoir vendu votre âme au diable, moi c’est à lui qu’elle appartient. Qui m’en révélera le secret fera de moi l’esclave le plus soumis et docile que cette terre ait porté. J’ai pensé que ce serait vous en découvrant le billet de mon père. Depuis que je vous ai vue, Emma, je n’ai cessé de l’espérer.
Le bas-ventre d’Emma s’embrasa. Elle se défendit pourtant de s’y soumettre.
— Vous me troublez infiniment, marquis, avoua-t-elle, mais je n’ai aucune confiance en votre prétendue loyauté.
Il eut un sourire navré. Désarmant.
— Alors, tuez-moi. Vite. Que je sois libéré à jamais de ce qu’il m’a appris, de ce que vous me refusez.
Emma vacilla. Peut-être après tout serait-il bon qu’elle prenne un associé. N’était-ce pas au fond ce qu’elle recherchait depuis la mort de Mary ? Un être capable de la faire frémir comme il le faisait ? Un être à sa dimension ? Le trésor ne l’intéressait pas, il n’était qu’un prétexte. Les secrets de Baletti et Baletti lui-même étaient bien plus précieux.
— Avez-vous véritablement découvert le grand œuvre ? demanda-t-elle.
— Oui, répondit-il sans hésiter, comprenant qu’elle flanchait. Mais il est complexe et ne se limite pas à une formule griffonnée sur un morceau de papier. Seule, vous n’y parviendriez pas. Il m’a fallu dix années pour le maîtriser.
— Est-ce le crâne qui vous l’a révélé ? insista-t-elle encore, le sentant sincère.
— Ainsi que beaucoup d’autres choses, je présume. Mais je ne saurais l’affirmer. Aucune voix divine n’en a jamais jailli et il n’a rien de surnaturel. Disons que j’ai besoin de sa présence.
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