Les valets du roi
rendu visite, je crois, a rapatrié plusieurs hommes sans scrupules de Trieste où se tiennent les navires de son escorte. Un dénommé George s’occupe de recruter sur place quelques petites frappes chargées de faire diversion auprès de vos gardes. Je pense que c’est ceci que la belle veut vous dérober.
— Quand ?
— Demain. A la nuit tombée.
— M’aideriez-vous à la prendre à son propre piège ?
— J’espérais que vous me le proposeriez. Je me suis déjà fait engager par ce George avec trois de mes hommes. Au cas où… ajouta-t-il.
— Eh bien, capitaine Cork, il semble que nous voilà associés.
Il se leva et lui tendit une main franche. Cork se redressa et la serra avec chaleur, un sourire éclairant la chaleur de ses traits.
*
E mma de Mortefontaine avait espéré que Baletti reviendrait sur sa décision, tant leurs silencieux échanges étaient enflammés. Il lui plaisait. Infiniment. Voilà pourquoi elle avait attendu avant de décider de son attaque, comptant sur la débauche du carnaval pour l’attirer en ses rets et devenir sa maîtresse. Elle eût pu le harceler, mais son tempérament orgueilleux s’y refusait. Elle voulait qu’il succombe et la supplie. Mais Baletti lui avait résisté.
« Cette nuit, se dit-elle, lorsqu’il sera à ma merci, je trouverai le moyen de le faire plier. Il m’aimera. Ensuite, je le tuerai. » Emma ne pouvait tolérer l’idée d’être vulnérable au charme d’un homme qui avait osé se jouer d’elle au point de la mépriser.
Le moment venu, Clément Cork et ses hommes obéirent aux ordres qu’ils avaient reçus, de même que les gardes du palais. La lune, voilée par d’épais nuages, semblait vouloir servir les plans machiavéliques d’Emma de Mortefontaine. Elle était ravie et excitée par cette expédition, bien différente de ses habituelles mondanités. Tandis que les hommes de Cork se chamaillaient sur le quai, devant les marches, pour faire diversion, Emma, George et trois autres accostaient au long d’un trottoir, si étroit qu’il permettait à peine le passage. Emma et ses acolytes durent s’adosser, plaqués contre le crépi de chaux coloré, pour ne pas tomber dans le canal, le bout des souliers dépassant du ciment. Ils atteignirent ainsi une fenêtre, dont le rebord se tenait à un mètre à peine au-dessus de la tête de George.
S’il avait pu se retourner sur la coursive, il aurait pu se hisser à la seule force de ses bras, mais il n’y fallait pas songer. George déroula précautionneusement la corde qu’il avait emportée et, bras tendus, accrocha le grappin au balcon ouvragé. Fort comme un bœuf, il s’aida de cette amarre pour s’asseoir sur la coursive, les pieds dans l’eau glaciale, buste et corde projetés vers l’avant, offrant ainsi un marchepied à ses complices. L’homme qui le suivait, petit et svelte, empoigna la corde comme la drisse d’un navire et grimpa sans difficulté en prenant appui sur les épaules de George. D’un coup sec de la pierre qu’il tenait en main, il brisa un carreau à hauteur de l’espagnolette et ouvrit la croisée sans peine.
Plus loin, à grand renfort de hurlements, de grognements ou de rires, la fausse altercation entre les hommes de Baletti et ceux de Cork se poursuivait, donnant à penser à Emma que son plan se déroulait comme prévu. Elle releva ses bras comme on le lui demandait et, à son tour, se retrouva hissée, puis déposée dans une des pièces sombres de la demeure du marquis.
Cela fait, George s’accrocha à la corde et se laissa enlever de même. Dans le palais, tout était calme et tranquille.
Clément, abandonnant ses camarades dès qu’il avait su Emma et George occupés à leur entreprise, s’était précipité dans la salle du crâne où quatre de ses hommes attendaient son signal, cachés derrière les tentures.
— Ils sont entrés, annonça-t-il simplement à Baletti qui s’y était installé, comme à l’accoutumée.
Ne voulant faire courir aucun risque à son personnel, le marquis l’avait écarté pour la soirée, ne conservant à ses côtés que les gardes.
Au moment où Emma et ses complices pénétrèrent dans la pièce, pistolet au poing, Baletti faisait mine de dormir dans son fauteuil. Il ne se faisait aucune illusion sur les intentions de la belle, mais, ne doutant pas de l’orgueil que procure le sentiment de victoire, il comptait bien utiliser ce travers pour entendre enfin les
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