Les valets du roi
Londres pour vérifier ses comptes et s’enquérir du bon fonctionnement de ses affaires. Enfin, elle avait atteint le comté de Cork, son fidèle mercenaire à ses côtés, dans l’idée de se refaire une santé. Dix mois s’étaient écoulés. Et chacun des courriers que Baletti lui envoyait en réponse à ses missives était une brûlure de plus à son orgueil bafoué.
C’est pourquoi, à peine arrivée, elle se fit annoncer chez William Cormac. Elle ne l’avait pas vu depuis presque deux années, mais était certaine qu’il ne l’avait pas oubliée. Elle trouva cependant devant elle un homme au regard fuyant et visiblement embarrassé qui, au lieu de l’étreindre comme elle l’espérait, se contenta de demeurer derrière son bureau et de la prier de s’asseoir. Elle s’en offusqua aussitôt.
— Quel accueil, mon cher ! Même à notre première rencontre je vous ai trouvé plus aimable. Seriez-vous souffrant, contagieux peut-être ? se moqua-t-elle avec une pointe de cynisme.
Cormac déroba une fois encore son regard au sien pour répondre.
— Rien de cela, ma chère Emma, et je vous demande de me pardonner si je vous ai froissée.
— Il s’agit bien de cela ! s’adoucit-elle. J’espérais seulement plus de chaleur. Vous m’avez manqué, William.
Cette fois, il releva la tête, incrédule.
— Vraiment ? Vous m’avez pourtant laissé sans nouvelles. Plusieurs années durant. Ignorant mes lettres.
— J’avais à faire, répliqua Emma, comme si sa présence aujourd’hui suffisait à elle seule à effacer ce qu’on lui reprochait.
— L’absence ne fait rien aux sentiments, se justifia Cormac, retrouvant enfin un peu d’éloquence devant l’injuste suffisance de son ancienne maîtresse.
— Elle ne gâte pas les miens, assura Emma, et ce qui nous parut plaisant hier demeure de même aujourd’hui pour moi. A moins qu’il n’y ait une autre raison à votre froideur, ajouta-t-elle d’un ton pincé, remarquant sa grimace ennuyée.
— C’est le cas en effet, avoua-t-il, gêné. Je suis épris.
— Vous êtes épris… Et de qui donc, puisque ce n’est vraisemblablement plus de moi ?
— La discrétion m’empêche de vous répondre, mais son amour me comble au plus haut point et, bien qu’elle soit une simple domestique, je n’aurais pas le cœur de la blesser en reprenant avec vous une relation éphémère. Malgré le plaisir que j’en aurais, milady.
— Je vois, grinça Emma.
Elle se leva, droite et digne, contenant sa rage derrière un sourire crispé.
— C’est votre dernier mot, William Cormac ? demanda-t-elle encore.
— Croyez bien que je le regrette. Si vous m’aviez seulement nourri de quelques lettres, s’empêtra-t-il.
Emma le toisa de son mépris.
— L’amour, milord, est ou n’est pas. Puissiez-vous n’avoir jamais à déplorer votre choix.
— Vous me demeurerez chère, Emma, assura Cormac en la raccompagnant.
Son air soulagé à son départ prouva pourtant le contraire à Emma.
Cette fois, c’en était trop. Puisque Baletti était intouchable, c’était cet imbécile de William Cormac qui allait payer. Elle se renseigna sur la servante en question. Celle-ci s’appelait Marie Brenan, était charmante, jolie et suffisamment ingénue pour s’être laissé engrosser. C’était toutefois assez récent encore pour n’être pas visible. William Cormac envisageait de l’installer dans un petit meublé dès qu’elle aurait donné son congé, si l’enfant tenait. Emma savait qu’en Irlande l’adultère était considéré comme un crime et passible d’une peine de prison. Cormac ne lui avait pas caché ses craintes à ce sujet du temps de leur liaison.
Elle s’en frotta les mains avec délectation. Il allait regretter de l’avoir ainsi repoussée. Elle envoya un courrier en Caroline-du-Sud pour demander à son intendant d’acheter une autre plantation, au nom de William Cormac et de Marie Brenan, et de lui envoyer l’acte de propriété doublé d’une copie. Puis elle se mit à attendre en ruminant sa vengeance.
Chaque fois qu’elle jouissait entre les bras de George, les yeux fermés, c’étaient ceux de Baletti qui la hantaient.
37
L a journée avait été rude à l’auberge des Trois Fers à cheval. Depuis deux jours, elle ne désemplissait pas. Niklaus, Mary et Milia n’avaient jamais été aussi contents de s’activer au milieu des tables, trinquant à la régalade, servant les mets
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