Les valets du roi
imaginé alors que c’est ainsi qu’elle l’abandonnerait ! Mary secoua une fois encore sa détresse, embrassa la joue froide de sa mère, murmura un adieu tremblant dans ses boucles soyeuses encore, puis enjamba l’appui de la fenêtre sans se retourner. Elle jeta son bagage en contrebas et sauta du premier étage dans l’impasse, réveillant quelques chiens et chats qui s’enfuirent en couinant.
Elle erra longuement dans les rues, en bordure de la Tamise où bateleurs et pêcheurs se hélaient bonnement.
Elle n’était que souffrance, terreur et désespoir.
C’était injuste, pensait-elle, injuste que cela arrivât aujourd’hui, alors qu’elle portait une si bonne nouvelle. Elle s’en voulut de ne pas avoir contacté plus tôt le pasteur Reeves, de ne pas avoir eu confiance en l’affection de lady Read. Peut-être alors tout cela ne serait-il pas arrivé. Nantie, Cecily rirait à ses côtés, et elle lui tiendrait la main pour accompagner sa vieillesse. Elle ne parvenait à chasser de son esprit l’image de son visage apaisé, comme si Cecily s’était laissé faire, comme si elle s’était faite complice de son agresseur, trouvant dans la mort l’ultime échappatoire à son malheur. Cette possibilité lui fit mal.
Elle cogna de la pointe de son soulier dans un caillou, le ventre gargouillant de faim. Dès le lendemain, elle irait réclamer son héritage. Cecily n’aurait pas voulu qu’elle le perde. Elle s’était trop humiliée pour lui. Mary enserra le pendentif d’émeraude enchaîné à son cou de même que l’œil de jade, comme un trésor. L’âme de Cecily s’y était inscrite à jamais.
Pour l’heure, n’ayant envie de rien d’autre que de solitude, elle se glissa sous un pont, resserra son manteau autour d’elle et, frissonnant un peu, se laissa prendre par le mouvement des navires. De là, elle apercevait le port de Londres.
Elle reporta son sentiment de culpabilité sur Tobias Read, retrouvant cette haine qui l’habitait chaque fois qu’elle pensait à lui. Beaucoup de ces bâtiments lui appartenaient. Celui-ci aurait aisément pu les sauver, poursuivre l’œuvre de sa mère au jour de sa mort, mais non, il avait préféré la chasser alors. Comment aurait-elle pu savoir qu’il changerait d’idée, au point de la faire rechercher pour partager avec elle son héritage ?
Soudain, une évidence s’imposa, si douloureuse que Mary étouffa un cri derrière son poing levé. Et si ce n’était pas pour la nantir que Tobias Read était à ses trousses, si c’était au contraire pour se débarrasser d’elle ?
— Oh ! mon Dieu, non ! gémit-elle.
Tobias Read !
Ce ne pouvait être que lui et lui seul l’assassin de sa mère !
Mary décida de quitter Londres au plus vite, se sentant en danger désormais. Où aller ? Que faire ?
Le manège des navires l’inspira. Elle trouverait bien un emploi de mousse. Elle avait réussi à tromper son monde des années durant et ne s’imaginait pas porter autre chose que des pantalons. Elle ne pouvait prendre le risque de s’exposer sur un des bâtiments de son oncle. Douvres était la ville portuaire qui lui sembla la plus rapide d’accès. Renonçant à cet héritage qui avait fait son malheur, elle se mit en route dès le lendemain pour l’oublier.
5
M ary parvint à Douvres huit jours plus tard, épuisée d’avoir traîné sa peine sur des chemins boueux. La pluie qui s’était abattue sans discontinuer trois jours durant avait coulé sur ses joues comme autant de larmes qu’elle s’interdisait de verser.
Sur le port, elle grappilla de-ci de-là quelques quignons de pain puis s’appliqua à surveiller le manège d’autres gringalets qui traquaient les éventuels passagers pour leur rendre de menus services. Cela lui parut facile et elle décida sans plus tarder de tenter sa chance, pour subsister le temps de trouver un embarquement.
Midi sonnait pourtant aux cloches des églises qu’elle n’avait pas même acquis de quoi apaiser les gargouillis de son ventre. Il lui fallut bien reconnaître son inexpérience. Ce qui lui avait semblé à la portée de tous n’était point à la sienne. Les habitués étaient plus prompts, plus vifs, plus efficaces qu’elle.
Elle était prête à renoncer, tant sa déception était grande, lorsqu’elle vit s’avancer une nouvelle voiture. « La dernière, se dit-elle. Si j’échoue, je m’en irai mendier mon repas. »
Déployant toute son
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