Les valets du roi
trône par ce félon de Guillaume d’Orange, son protestant de gendre, il ne se passe pas un jour où les alliés de l’un complotent contre les alliés de l’autre. J’aime l’intrigue. C’est sans doute un défaut, mais il me plaît de penser qu’une femme ne serait pas complète sans son goût pour les mystères. Ils lui permettent souvent de s’élever dans une société où, hélas, on ne lui prête qu’une place relative. En clair, mon cher, j’aime écouter, surprendre et vibrer de détenir certains secrets qui m’assurent une respectabilité et une impunité totales. Souvenez-vous-en, mon garçon. La liberté des êtres est à ce prix. Car on ne respecte en ce bas monde que ce que l’on craint.
— Je m’en souviendrai, assura Mary.
— Votre rôle consistera surtout à écrire des lettres que je vous dicterai. Certaines vous paraîtront farfelues, voire incompréhensibles. La cause en est un code qu’il me faut employer sur certains billets pour éviter toute indiscrétion. N’y attachez aucune importance et prenez note mot pour mot de mes curieuses exigences.
Mary hocha la tête, prête sans hésiter à servir cette dame providentielle qui terminait par cette confidence :
— Je reçois beaucoup aussi. Des amies très mondaines qui seront ravies de votre présence et auxquelles je vous demanderai de plaire en leur racontant votre histoire. N’y voyez rien de méprisant ou de malsain. Ces dames adorent s’apitoyer sur une misère qu’elles ne peuvent en rien imaginer, détournant la tête dès lors qu’elles la croisent dans la rue. Il me plaît de bousculer un peu leurs convenances en leur faisant goûter la véritable nature de notre société de faux-semblants. Je peux vous comprendre pour ma part et c’est pourquoi vous ne verrez aucune pitié de bon ton dans mon comportement à votre égard.
Emma se leva. Dans une tabatière posée sur une tablette de marbre, elle récupéra une poignée de tabac et en bourra une fine pipe de cornaline qu’elle alluma d’une pierre à feu, avant de poursuivre :
— Voyez-vous, mon cher, je n’ai pas toujours été la noble et respectable Emma de Mortefontaine. Née d’une servante et d’un pasteur, j’avais pour moi toutes raisons de disparaître. J’ai survécu dans l’opprobre, me nourrissant de la boue pour grandir. Jusqu’à ce que ce Français, M. de Mortefontaine, me désire assez pour m’épouser en m’inventant une famille irlandaise.
Emma se réinstalla dans son fauteuil avant de continuer :
— Mon époux se donna la peine, pour créditer mon nom, d’acheter les titres et les biens d’une famille du comté de Cork, dont la lignée venait de s’éteindre. N’imaginez pas, Mary Oliver, que mon ascension soit le fruit d’une chance insolente. Sous cette apparente joliesse qui affole tant de mes amants se cache une implacable volonté. Rien aujourd’hui ne pourrait me faire déchoir, retourner d’où je viens. Et quiconque se mettrait en travers de ma route dans ce but se verrait persécuté par mon impitoyable vengeance.
— Je le conçois, madame, assura Mary avec une admiration non feinte.
Emma de Mortefontaine adoucit le timbre de sa voix.
— Vous me jugez certainement très bavarde alors que nous nous connaissons à peine et vous avez raison. Si j’ose dès ce premier entretien vous révéler ma nature, c’est pour que vous preniez la mesure du dévouement que j’attends de vous. Vous me plaisez, Mary Oliver, parce que mon instinct me dit que vous êtes à même non seulement de comprendre mes motivations, mais aussi de les servir. Me trompé-je ?
— Non, madame. Commandez et j’obéirai, ne serait-ce que pour me grandir de votre exemple et trouver en ce monde la place qui m’est destinée.
Emma se releva, signifiant que l’entretien était terminé.
— Amanda vous mènera à vos quartiers. Ils sont proches des siens. Vous déjeunerez et dînerez avec moi, sauf bien entendu lorsque je serai visitée par mes galants. Ne vous offusquez pas de leur présence. Vous apprendrez que l’amour fait partie de ces jeux mondains qui offrent, à qui en connaît les règles, de multiples sources de contentement. Je dois me rendre à la cour. Nous nous verrons plus tard.
Mary hocha la tête et s’éclipsa pour rejoindre Amanda.
La domestique, à peine plus âgée qu’elle, se fit un plaisir de la conduire sous la soupente pour lui montrer la chambre réservée aux secrétaires particuliers de
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