Les valets du roi
pitance. Mary s’écarta de lui.
« Plus jamais ça », songea-t-elle en bénissant lady Read. Elle ignorait de quels bienfaits celle-ci avait pu la couvrir, mais c’était suffisant pour redonner à Cecily les couleurs de l’espoir.
Elle grimpa les escaliers quatre à quatre, évitant le logeur qui se disputait avec sa femme dans l’arrière-boutique.
— Cecily ! appela-t-elle joyeusement en ouvrant la porte à la volée.
Celle-ci ne répondit pas. Elle sommeillait paisiblement.
Mary tourna machinalement la clé dans la serrure, puis entreprit de la réveiller en taquinant sa joue de petits baisers sonores. Cecily ne bougea pas davantage. Le cœur de Mary se mit à battre si fort qu’il lui sembla vouloir s’arracher de sa poitrine.
— Maman ! insista-t-elle encore, tout en sachant que c’était inutile.
La douleur se fit si intense en elle qu’elle eut le sentiment d’être écartelée.
Mary aurait voulu pleurer, mais les larmes ne vinrent pas, étouffées dans son ventre noué. Cecily affichait un air de béatitude qu’elle ne se souvenait pas de lui avoir jamais vu. « Peut-on être malheureux du bonheur de ceux que l’on aime ? » disait-elle souvent.
Mary se gorgea de cette réflexion pour s’apaiser, refouler sa souffrance, accepter l’inacceptable. La mort allait si bien à Cecily ! Non, elle ne devait pas en être bouleversée. Et cependant, tout en elle lui faisait mal à hurler.
Elle décida de combattre cet anéantissement qui la gagnait. Elle se redressa, rassembla la dizaine de bougies que renfermaient leurs réserves et les alluma pour réchauffer sa défunte mère de leur lumière. Puis elle s’allongea près d’elle sur le lit pour la veiller, joignant les mains de Cecily sur sa poitrine comme le pasteur Reeves l’avait fait à lady Read.
Ensuite de quoi, elle entreprit de lui ôter ce pendentif d’émeraude qu’elle n’avait jamais voulu vendre, même au plus noir de leur misère, prétextant qu’il représentait un trophée pour elle, sa victoire sur sa belle-famille.
En se penchant au-dessus du cou de Cecily pour le détacher, Mary constata que des marques sombres s’y étaient imprimées. Etonnée, elle les examina de plus près. Lorsqu’elle réalisa qu’il s’agissait de contusions laissées par des empreintes de doigts, elle se redressa vivement, glacée à son tour.
Cela lui parut irréel, inconcevable. Qui aurait pu vouloir l’étrangler ? Pour quelle raison ? Cecily était la bonté même. Elle récupéra une bougie dans sa main et approcha la flamme de ces traces suspectes, au risque d’embraser les fins cheveux argentés. Elle dut se rendre à l’évidence : Cecily avait bel et bien été assassinée !
Défaite et brisée, Mary s’adossa aux coussins défraîchis, caressant ce front tant aimé comme Cecily le lui faisait souvent, égarant son regard sur la pièce froide et lugubre, aux meubles branlants et usés.
Elle ne comprenait pas. Non. Elle ne comprenait pas !
Cela n’avait pas de sens. D’autant moins qu’on n’avait rien dérobé puisque le pendentif était encore au cou de Cecily. L’assassin l’avait forcément vu, penché sur son crime. Alors, où se trouvait la vérité ?
Ces questions lui devinrent insupportables. Elle eut envie de hurler. Il lui fallait réagir, ne pas se laisser abattre, ne pas sombrer comme trop de fois sa mère l’avait fait. Mary sauta à bas du lit, et en extirpa une petite malle qui, sous le sommier creusé, se disputait l’espace avec les blattes et les araignées. Elle l’ouvrit, la posa sur une petite table et y fourra leurs maigres affaires, comme chaque fois qu’avec Cecily elles avaient dû fuir.
Elle la refermait lorsque la poignée de la porte tourna, la plaquant d’instinct contre un mur, paniquée. La voix du logeur gronda de l’autre côté :
— Ça fait deux fois, madame Read ! Je m’en reviens dans une heure et faudra voir à me payer, sinon…
Il n’acheva pas sa phrase et Mary entendit son pas lourd marteler l’escalier.
Rester plus longtemps auprès de Cecily aurait été folie. Elle n’avait pas seulement les moyens d’offrir une sépulture à sa mère.
« Les cimetières ne servent à rien, Mary, sinon à enterrer l’âme plus vite dans l’oubli des cœurs. Désigne plutôt une étoile dans le ciel pour accompagner mon éternité ; ainsi, où que tu sois, je veillerai toujours sur toi », lui avait recommandé Cecily.
Elle n’avait pas
Weitere Kostenlose Bücher