Les valets du roi
que vous nous préparerez du chocolat. Allez, Mary Oliver, ordonna-t-elle, une nuance de reproche dans la voix. Avec une fluxion de poitrine, vous ne me serez d’aucune utilité.
Mary obtempéra. De fait, elle ne se sentait guère vaillante.
— Comment diable avez-vous pu vous mouiller de la sorte ? s’étonna Amanda en la guidant à travers les couloirs. Il ne pleut pourtant pas aujourd’hui.
— Un maladroit m’a bousculée comme je me tenais sur la jetée, mentit Mary. Un conseil, Amanda, attendez l’été pour vous baigner, ajouta-t-elle avec une pointe d’humour qui la fit aussitôt apprécier de la jeune femme.
— Je vous laisse, reprit Amanda en lui tendant les effets promis. Ils seront peut-être un peu grands, mais ce sera plus confortable. Venez quand vous serez prêt. Outre le chocolat, je vous servirai un verre d’alcool de malt qui achèvera de vous revigorer.
Un quart d’heure plus tard, grâce aux bons soins d’Amanda qui avait sorti des pâtés du four, Mary, rassérénée, rejoignit enfin Emma de Mortefontaine. Celle-ci l’invita à s’asseoir et à se servir un morceau de gâteau accompagnant le chocolat.
— A présent, expliquez-moi ce qu’un garçon aussi bien élevé peut avoir à faire sur les quais ? demanda Emma avec bienveillance.
Mary lui raconta alors son enfance de garçonnet rejeté, la triste condition de sa mère, sa mort soudaine et ses propres embarras et chagrin, n’omettant que sa promptitude au chapardage et à l’intérêt, tout autant que le nom des Read auquel elle ne voulait plus être associée pour ne pas risquer d’être retrouvée.
Emma termina sa tasse de chocolat et demanda posément :
— Voulez-vous travailler pour moi ? Vous serez parfait pour remplacer mon secrétaire particulier.
Avant que Mary eût pu répondre, Emma l’enveloppa d’un regard enjôleur et ajouta :
— Deux couronnes. Plus le logement et les repas. Acceptez-vous ?
C’était plus que Mary n’aurait pu seulement imaginer.
— Vous me sauvez, madame répondit-elle avec reconnaissance. Je m’appliquerai, croyez-le, à vous rendre la confiance dont vous m’honorez.
— Je n’en doute pas, Mary Oliver. Vous en avez, j’en suis certaine, toutes les qualités.
Emma de Mortefontaine se coula plus encore dans le confortable écrin de son fauteuil tendu de velours émeraude. Mary attarda sans malice son regard sur la perfection de ses traits. Assurément, cette femme était la plus agréable et la plus jolie qu’il lui eût été donné de rencontrer. Ses grands yeux verts en amande ourlés de cils dorés rehaussaient sa carnation parfaite. Une jolie bouche en cœur semblait posée comme un bouton de rose sous un nez fin, et l’ovale de son visage aurait ravi le pinceau d’un Léonard de Vinci. Quant à sa taille joliment tournée, elle était aussi fine qu’élancée.
— À mon tour de vous parler de moi, mon cher, décida celle-ci, nullement embarrassée de cet examen. Puisque vous devenez mon confident en affaires, il me faut vous éclairer sur mes activités.
— Je saurai être discret, madame, l’assura Mary, tandis qu’Emma l’invitait à terminer le cake d’un gracieux mouvement du poignet.
Une nouvelle vague de reconnaissance submergea Mary. Aucune condescendance ni charité ne brillait dans le regard d’Emma de Mortefontaine. Mais plutôt un intérêt réel et une curiosité insatiable qui s’accommodaient mal de l’idée que s’était forgée Mary des bourgeois. A croire qu’elle s’était trompée, pour son bonheur enfin. Il restait quelque chose de vrai dans cette humanité. Comme elle aurait aimé que Cecily fût encore là pour pouvoir en juger.
— Je suis veuve, déclara Emma en faisant rouler entre le majeur et l’index de sa main droite une alliance qui s’oubliait à son doigt. Mon époux était un des riches armateurs de ce pays.
Tobias Read était armateur lui aussi, connaissait-il Emma ? Mary décida de se tenir sur ses gardes quoi qu’il advienne. Indifférente à son trouble, Emma poursuivait :
— J’ai repris les affaires de mon époux, pas de façon directe pourtant, car, je l’avoue, j’ai fort peu de goût pour les navires. Un administrateur efficace se charge de mes intérêts, d’autant que la concurrence en ce domaine est rude.
Mary se relâcha.
— Je préfère, quant à moi, les affaires de cour. Depuis que Jacques II Stuart, notre bien-aimé roi catholique, s’est vu destituer de son
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