Les valets du roi
sentant consolé.
Leurs jupons s’écartèrent et, enserrée par leur gourmandise, Mary revisita une fois encore le triste épisode de son enfance, trouvant toujours dans son imagination abondante tel détail à ajouter pour faire frémir ou pleurer.
L’après-midi passa trop vite. Outre les confidences de Mary, elles parlèrent de la guerre qui déchirait l’Europe, de ce fameux Jean Bart de la marine française qui, bien qu’ennemi, les faisait rêver. Elles lurent et commentèrent aussi plusieurs poèmes de Shakespeare qu’Emma adorait et médirent sur quelques dames qui faisaient l’actualité à la cour du roi Guillaume.
Six heures sonnèrent à la pendule du salon.
Ces dames se levèrent et prirent congé tour à tour, pour s’en retourner auprès de leurs maris, l’esprit caressé toutefois de pensées adultères, dont Mary tout autant que le corsaire français étaient assurément l’objet secret.
M me de Mortefontaine coula son bras sous celui de son secrétaire particulier et, l’attirant vers la flamme salutaire d’un foyer, s’extasia :
— Ah, Mary Oliver ! Si vous pouviez concevoir à mon égard le dixième des douceurs dont ces belles vous pensent capable, je serais une femme comblée !
— Ce serait me doter d’une imagination que je ne possède pas, rétorqua celle-ci, troublée par la langueur de ce regard qui lui enveloppait l’âme.
Emma éclata d’un rire cristallin qui dissipa le malaise de Mary.
— Allons donc ! Vous mentez avec autant d’aisance qu’un banquier, mon cher !
Mary aimait ce jeu badin dont Emma usait pour la séduire. Elle s’appliqua à s’en servir pour ne pas se trahir.
— Oh ! Vous avez remarqué ? minauda-t-elle en affichant cette affliction des enfants démasqués.
— Cessez donc ou, par Dieu, je jure de perdre mes bonnes manières et de vous culbuter moi-même sur ce divan ! menaça Emma, carnassière.
Mary la crut capable d’y parvenir sur-le-champ. Effrayée à cette idée, elle la salua :
— Le dîner sera servi dans quelques instants. Permettez que je vaque avant de vous y rejoindre.
— Encore une échappatoire, Mary Oliver. Eh bien, soit, ce soir encore, je boirai trop et vous pas assez…
— Ce soir encore, madame, il faudra vous contenter d’un ange.
— Je vous déteste, Mary Oliver.
— J’en suis flattée ! répliqua Mary.
Elle s’empressa de quitter la demeure pour aller flâner dans le quartier, inspirant à larges goulées le printemps qui s’annonçait. Mary se sentit joyeuse. Comme elle l’avait rarement été. Cette vie auprès d’Emma était bien plus douce et raffinée qu’elle n’aurait pu l’espérer.
Le dîner fut aussi anglais que possible, M me de Mortefontaine ne s’autorisant à taquiner son secrétaire particulier qu’en toute intimité. Amanda les servait avec application, sans cacher véritablement à la fois sa préférence pour Mary Oliver et le ressentiment qu’elle éprouvait à le sentir si proche de sa maîtresse. Elle ne parvenait pas à en faire son deuil.
Emma de Mortefontaine ramena la conversation sur la guerre de la ligue d’Augsbourg qui appauvrissait l’Europe depuis mai 1689.
Egoïstement, Mary s’en désintéressait. Elle avait toujours été assez maligne pour échapper aux agents recruteurs qui parcouraient les rues, les villages et les villes d’Angleterre. Elle en savait l’essentiel pour en débattre avec Emma de Mortefontaine et ses relations ; s’attachant surtout à partager son affection pour Jacques II, le roi déchu, réfugié en France chez son cousin, le roi Louis XIV, qui l’avait installé avec sa cour à Saint-Germain-en-Laye.
Emma de Mortefontaine insistait pourtant pour que Mary y prenne goût et intérêt :
— Les affaires politiques sont ce qui donne aux hommes des raisons de penser, d’agir et d’imaginer. C’est dans la corruption que se dessinent les visages du monde. On ne peut les ignorer, Mary Oliver. Je ne connais en ce siècle aucun être qui ne rêve de puissance, de gloire et de majesté. Le comprendre, l’accepter et se forger à cette école est le seul et unique moyen de survivre. Quelle que soit sa naissance.
— Il y a forcément des gens humanistes et désintéressés, objecta Mary.
Emma se mit à rire.
— Les sots et les fous, peut-être. Vous n’en trouverez aucun au sommet. Que croyez-vous que soit cette guerre ? Un conflit d’intérêts, comme toutes les autres avant elle
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