Les valets du roi
Madame.
— Pour quelle raison le précédent a-t-il été congédié ? demanda Mary.
Amanda haussa les épaules, partant d’un petit rire cristallin.
— Il était bien trop rigide pour plaire à Madame. Il a eu le tort de lui reprocher la légèreté de sa conduite alors que son veuvage n’a pas encore atteint son premier anniversaire.
— Et vous, qu’en pensez-vous ?
Amanda minauda, velouta son regard, et se balança en nouant ses mains derrière son dos.
— J’en pense que Madame peut bien faire ce qu’elle veut du moment qu’elle a les moyens de moucher ses détracteurs. Pour ma part, je vous préfère comme voisin que ce triste sire, toujours soucieux de sa réputation et de son allure.
— Je vois, réalisa Mary.
Amanda la trouvait tout à son goût sous ses atours masculins. Mary devrait la ménager, tout en manifestant une ferme réserve. « Bah, songea-t-elle. Tout emploi a des inconvénients. Si celui-ci ne n’amène pas de surprise plus désagréable, je serai avant longtemps la plus comblée de ce monde et Cecily sera fière de moi. »
— Quel âge a Madame ? demanda encore Mary en raccompagnant Amanda à la porte de son petit appartement.
— Vingt ans tout juste, et moi dix-sept, de sorte que nous avons, vous et moi, sensiblement le même âge.
— Cela donnera une belle raison à notre amitié dans le service, assura Mary avant de refermer la porte sur le sourire gaillard de la jouvencelle.
Mary se laissa choir sur le matelas, l’éprouva par quelques cabrioles, comme elle avait toujours aimé le faire, puis, ravie de son aubaine, fit le tour de son nouvel univers.
La pièce était meublée joliment bien que sobrement et un petit cabinet de toilette s’ouvrait derrière un paravent tendu de cotonnade. De la fenêtre à hauteur de ferme, elle pouvait apercevoir le port de Douvres et, juste en bas, le parc qui encerclait la demeure d’Emma de Mortefontaine, le portail qui clôturait l’allée et, à droite, la petite maison de George, le gardien, qu’Amanda lui avait présenté.
Ils étaient désormais trois, Mary comprise, à servir le quotidien d’Emma de Mortefontaine.
Dès le lendemain, Mary fut envoyée chez le tailleur et commença auprès de sa patronne une éducation bien éloignée de celle de lady Read.
6
D eux semaines plus tard, Mary était méconnaissable. Convenablement nourrie, soignée et habillée, elle avait belle allure. Son seul souci avait été de découvrir que son nouveau traitement avait mis en évidence sa féminité. Fort heureusement, elle affichait une poitrine plus que modeste qu’elle s’empressa de dissimuler sous un épais bandeau de toile, enlaçant de même l’œil de jade qu’elle portait toujours en pendentif, tel un trophée, à côté de la salamandre d’émeraude de sa mère.
Elle s’était promis de ne jamais s’en séparer, l’un pour se souvenir de ce qu’elle avait fui par haine et dégoût, l’autre en mémoire de sa mère.
Emma de Mortefontaine lui plaisait chaque jour davantage, même si certains aspects de sa personnalité la déroutaient. Un de ses galants avait fait les frais de son cynisme et Mary s’était sincèrement étonnée de déceler autant de cruauté et de froideur dans les propos qu’elle avait indiscrètement surpris. Emma de Mortefontaine était double. Mais pouvait-elle le lui reprocher ? Elle-même n’était pas un ange, contrairement à ce que Cecily avait prétendu autrefois.
Emma lui confiait des tâches multiples selon ses humeurs, ses envies ou son besoin. Mary s’en acquittait en toute discrétion et loyauté, se laissant prendre au fil des jours par le charme de sa maîtresse.
Elle lui plaisait et Mary devait admettre que c’était réciproque. Bien au-delà de la normalité. Ce qui était concevable pour Emma, découvrant Mary sous les traits d’un jeune homme, devenait inimaginable à l’inverse. Mary s’en défendait, dissimulant cette attirance qui la gênait par une affection amicale. Voire une reconnaissance exacerbée.
— Mes amants m’ennuient, lui confia Emma un après-midi, alors qu’un de ses galants venait de prendre congé. Ils sont précieux et prévenants, plient trop sûrement leur pantalon et leur chemise avant l’étreinte, et font l’amour sans plus d’imagination et de saveur qu’ils n’en ont pour leur cuisine. Voulez-vous que je vous dise, Mary Oliver, en fait, ce que je leur reproche le plus est tout
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