Les valets du roi
morsure infectée, de quoi nous réjouir à peu de frais, s’empressa Riva en gloussant, mais j’en suis pour ma peine.
Au même instant, une voix l’interpella. Il y répondit par de grands gestes, s’excusa d’abandonner ses interlocuteurs pour une de ses compatriotes et allongea son pas vers elle. La cour se pressait ce matin. Louis le quatorzième était annoncé en visite et cette perspective incitait invariablement les courtisans à se montrer.
— Fantasque personnage, jugea Tobias Read en suivant l’artiste peintre d’un regard amusé.
— Chaleureux comme son pays. Avenant comme sa reine, rectifia Mary. Quel genre de commerce pratiquez-vous, si je ne suis pas indiscrète ?
— Je suis armateur. Mais pardonnez-moi, milady, je vois s’en venir la personne que j’attendais. Et pour la bonne continuation de mes affaires, je ne saurai la faire attendre. Sans doute aurai-je le plaisir de vous revoir prochainement ?
— J’en serais enchantée, minauda Mary en le laissant aller.
Elle le garda dans son champ de vision, puis se mit à le suivre discrètement jusqu’au château. Il y pénétra et Mary en fut certaine : Tobias Read n’avait aucun rendez-vous à honorer. Il avait seulement besoin d’un prétexte pour vaquer.
« Puisque tu ne m’as pas reconnue, mon cher oncle, je ne vais plus te lâcher et je jure, par Dieu, que je découvrirai bien ce que tu complotes. »
Parvenu au pied de l’escalier qui menait aux appartements du roi Jacques, il en grimpa les marches sans hésiter, délaissant sur sa droite la compagnie du monarque et de son épouse Marie de Modène, occupés au milieu de leurs courtisans à guetter l’arrivée de Louis XIV.
Débarqué en France, Tobias s’était rendu en premier lieu à Versailles pour demander audience au ministre de la Marine, M. de Pontchartrain, sous le prétexte de lui remettre les originaux des ordres maritimes de son homologue anglais, assurant ainsi à la France de belles victoires sur ses ennemis. M. de Pontchartrain l’avait reçu en son cabinet, dans l’aile droite du château, où des ouvriers s’activaient. Il l’en avait remercié sincèrement, se désolant d’apprendre que, surveillée, Emma de Mortefontaine ne ferait plus partie désormais des effectifs de la police secrète de lord Melfort.
— Ces informations nous seront capitales. À quel prix souhaitez-vous les vendre ? avait-il demandé, haussant le ton pour couvrir le bruit des marteaux en cadence.
— Il ne s’agit pas d’argent cette fois, mais de curiosité, avait avoué Tobias. L’histoire navale me fascine et j’aimerais que vous m’accordiez de consulter vos archives pour y découvrir les traits de ces corsaires qui ont fait sa renommée.
— Si tel est votre souhait, ce laissez-passer vous permettra de le satisfaire.
Tobias Read avait donc consacré plusieurs longues journées à la lecture fastidieuse des journaux de bord et des rapports d’amirautés avant de trouver enfin celui qu’il cherchait. Jean Fleury avait noté sa rencontre avec Alonzo de Avila et ses caravelles, la teneur de sa prise et ce qu’il en avait fait. Tobias vérifia ainsi que le crâne de cristal avait rejoint le trésor de l’empereur aztèque dans les coffres de François I er , comme il le pensait.
Fleury, en revanche, ne faisait aucune mention des yeux de jade. Tout était donc possible et envisageable. Le second œil pouvait avoir été perdu ou encore récupéré par un marin comme le premier. Tobias n’avait aucun moyen cette fois de savoir la vérité.
A moins peut-être de répandre la légende du trésor, assurant qu’un œil de jade en était la clé. Avec de la chance, peut-être quelqu’un se souviendrait-il ? Même si c’était peu probable, c’était la seule option qu’il lui restait. Le crâne de cristal l’intéressant par sa singularité bien davantage que le trésor, dans le pire des cas, il s’en contenterait.
En quelques semaines, les commérages avaient produit leur effet. A Versailles comme à Saint-Germain, on ne parlait plus que du trésor aztèque, tant l’Homme en noir, déguisé en valet, avait su le grossir pour mieux faire rêver.
Pendant ce temps, Tobias poursuivait son enquête concernant le crâne de cristal. Autrefois, François I er avait logé sa cour et le trésor royal au château vieux de Saint-Germain. Les archives du royaume y étaient de même conservées. Lorsque Louis le quatorzième avait déplacé
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