Les valets du roi
l’étiquette, tandis qu’elle riait des plaisanteries de ses galants. Assez d’en souffrir et de se taire.
— Puisque c’est ainsi, fulmina-t-il, tu n’as qu’à prendre un autre amant chez ces lords perruqués !
Mary n’eut pas le temps de répondre qu’il la planta devant sa coiffeuse, médusée, la brosse à cheveux à la main. Il sortit en claquant la porte derrière lui. Elle se sentit idiote soudain devant cette image que lui renvoya le miroir. Il n’y avait plus rien en elle de cette Mary Read que Forbin avait découverte sur le navire anglais.
Elle portait une jupe en point d’Angleterre sur un fond de couleur, rehaussée sur le bas d’une dentelle plissée. Sur sa poitrine menue, un « corps de jupe » mettait en valeur un décolleté profond, dévoilant ses épaules, fermé par des agrafes d’améthyste. Des gants de point d’Angleterre remontaient jusqu’aux coudes, rejoignant les manches terminées par des engageantes. Un manteau de gaze recouvrait le tout d’une teinte ventre de biche. Des souliers mignons de maroquin chaussaient ses pieds, lesquels étaient enveloppés de bas blanc jusqu’aux jarretières. A son cou, un sautoir de perles éclairait ses traits fardés et poudrés, bien mieux que l’œil de jade. Même Cecily n’aurait pu la reconnaître.
Mary acheva de poser sa coiffe de taffetas brodée sur sa tête. Elle était jolie. Le regard des hommes le lui disait. La jalousie de Corneille le lui prouvait. Elle se promit d’éclaircir cette situation à son retour de la cour. Elle avait beau se mentir, et s’admirer dans sa psyché, elle n’était jamais aussi bien et heureuse que débarrassée de ces allures, comme Corneille le lui glissait en se moquant.
Aimant davantage sa main caressante sur sa joue démaquillée que ses baisers du bout des lèvres pour ne pas effacer la mouche, cette galante, qu’elle y plaçait.
« Non, se dit-elle en se levant pour se rendre au château. Je n’ai aucune envie de voir Corneille s’éloigner. »
18
D ans la cour de son hôtel particulier, elle héla le cocher mis à leur disposition et se fit conduire au château vieux à cinq minutes de là. Elle aurait tout aussi bien pu s’y rendre à pied, mais jugea bon de faire remarquer sa prestance.
Délaissant le bâtiment, elle s’enfonça avec légèreté dans les allées verdoyantes des jardins, saluant d’un signe de tête gracieux ceux qu’elle connaissait, s’arrêtant auprès d’autres pour lesquels elle manifestait de l’intérêt, s’emplissant les narines du parfum des fleurs que la chaleur rendait plus exubérant encore, se rassasiant les yeux de ces boutons de roses à peine éclos ou épanouis, cherchant surtout dans ce dédale à croiser son ennemi juré.
Elle l’avisa en grande conversation avec Francesco Riva, maître de la garde-robe de la reine, peintre à ses heures et ami des plus grands. Elle avait rencontré celui-ci à plusieurs reprises, car c’était chez lui, dans le pavillon sud-est du château, au rez-de-chaussée, qu’étaient organisés la plupart des concerts de son compatriote Innocenzo Fede.
Riva possédait cette volubilité propre à ceux de l’Italie, son pays, et sa bonhomie attirait la confidence. Il sembla pourtant à Mary que Tobias était plus occupé à subir sa présence qu’à se confesser.
Elle s’avança avec aisance, s’arrêtant çà et là pour saluer, s’éventer ou donner l’illusion de se distraire tout en se rapprochant du peintre dont elle avait pu admirer certaines des toiles dans l’appartement où il recevait. Il parlait justement de celui-ci, se rengorgeant du fait qu’autrefois Louis XIV l’utilisait pour son Conseil, lorsqu’il aperçut Mary.
— Lady Readgemond, lança-t-il en se tournant vers elle. Quel plaisir de vous revoir !
Mary en profita pour se joindre à leur conversation :
— Le plaisir est partagé, milord.
Il baisa sa main avec insistance.
— Je ne connais pas votre ami, ajouta-t-elle. Avons-nous été présentés ?
— Je ne le crois pas, milady, affirma Tobias en saisissant à son tour sa main pour la baiser. Te suis sir Tobias Read.
— Quelles nouvelles portez-vous d’Angleterre, milord ?
— Hélas ! ma chère, il se trouve que je m’intéresse fort peu aux ragots dont sont friands les époux Riva.
— J’espérais en effet qu’il pourrait nous apprendre quelque vilenie sur le félon Guillaume, une crise de goutte, une urticaire, une
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