Les valets du roi
venait de la sauver d’Emma. Le pistolet de Tobias était amorcé et son doigt sur la détente, prêt à tirer.
— Non ! hurla Emma, réalisant en même temps que Mary que son époux devait les espionner depuis longtemps, et qu’il était déterminé.
Mary ne réfléchit pas. Emma pas davantage. L’une s’élança vers la fenêtre encore ouverte, l’autre se jeta sur le bras tendu de Tobias. Mary plongea dans le vide alors que la détonation éclatait, se recevant en boule comme elle avait appris à le faire, dans la cour, quelques toises plus bas. Fou de rage, Tobias gifla Emma qui, sous la violence du coup, se retrouva projetée contre la bibliothèque. D’un bond, il rejoignit la fenêtre, furieux de s’être laissé ainsi berner par son épouse, et par son neveu qui franchissait déjà le portail en claudiquant.
— Maudit sois-tu, jura-t-il, sans réaliser qu’Emma de Mortefontaine s’était redressée, glacée par un sentiment de vengeance comme elle n’en avait encore jamais ressenti.
Jamais, fulminait-elle. Jamais il n’aurait dû la frapper. Jamais il n’aurait dû lui enlever Mary. Il en savait trop désormais. Trop pour exister.
Elle décrocha de sa jarretière le poignard qu’elle y gardait et, se ruant sur Tobias, le lui planta dans le cœur au moment où il se retournait, prêt à lui faire payer sa trahison. Tandis qu’il suffoquait, Emma s’écarta de lui, les tempes battantes, s’attardant sur son agonie, qui, seule, pouvait apaiser la douleur en son ventre. Tobias Read s’affaissa sur le plancher.
Alertés par le bruit de la détonation, les domestiques accoururent pour la trouver agenouillée et tremblante, non de ce corps qui gisait, mais de ce sang mauvais qui battait en ses veines, tandis que celui de Tobias se vidait.
— Madame, est-ce que tout va bien ? s’exclama un valet.
— Un voleur, expliqua-t-elle. Il vient de s’échapper. Là !
Pour preuve, elle désigna, accroché à la balustre, un morceau d’étoffe que Mary avait déchiré de son gilet.
— Venez, Madame, lui enjoignit le serviteur, tandis qu’un autre constatait le décès de son maître. Je vais faire quérir la maréchaussée.
Emma hocha la tête et se redressa avec dignité, tout en songeant que personne plus jamais ne se mettrait entre elle et Mary Read. Non, plus jamais.
Mary regagna sa demeure en s’assurant qu’on ne l’avait pas suivie, la cheville enflée et douloureuse, se disant qu’elle aurait tout aussi bien pu se casser la jambe ou le cou.
Elle avait eu de la chance dans son inconscience. Elle avait suivi son instinct et ne le regrettait pas.
Elle était pourtant bredouille. Et cependant plus instruite du trésor et d’Emma qu’elle ne l’avait été. Sans elle, elle aurait certainement été tuée. Elle lui accorda sa reconnaissance, se promettant d’en tenir compte le jour où, fatalement, elles se retrouveraient face à face de nouveau.
Elle hésita un moment sur la conduite à tenir. Rester et tenter une autre initiative ou gagner l’Angleterre avec le navire de l’ami de Corneille, le capitaine Cork.
Elle opta pour la deuxième solution.
Avertis de ses intentions, les époux Read allaient probablement renforcer la garde de leur hôtel et protéger plus solidement le portail qu’elle n’avait eu aucune peine à escalader pour pénétrer dans la cour. A présent qu’ils la savaient en vie, ils ne tarderaient pas non plus à la faire traquer par l’Homme en noir ; tandis que là-bas, à Douvres ou à Londres, où ils ne manqueraient pas de revenir pour traiter leurs affaires, il serait facile de leur tendre une embuscade.
Elle rassembla ses affaires et demanda qu’on lui selle un cheval.
Sans regret pour cette vie de cour surfaite où rien n’était jamais ce qu’il paraissait, elle enfourcha sa monture, prévint ses gens qu’elle partait pour quelques jours et leur confia un billet à l’attention de lord Melfort rédigé en ces termes : « Tobias Read a remis à un homme vêtu de noir un rouleau de parchemin qui me semble contenir des informations capitales, le chargeant de le rapporter à la cour d’Angleterre. Je ne saurai attendre que votre police intervienne pour l’intercepter. Avec mon époux, je me lance sur ses traces. Sans nouvelles de moi au-delà d’un mois, considérez que j’ai échoué et que, jusqu’au dernier de mes souffles, c’est avec honneur et fierté que j’aurai œuvré à votre cause. Votre dévouée, Mary
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