Les valets du roi
trouver la clé.
« Trop facile ! » eut-elle le temps de regretter avant de s’approcher, victorieuse, du coffre pour l’y insérer. Au moment de l’ouvrir, la voix d’Emma cloua sur place ses prétentions.
— Oubliez cela et retournez-vous.
Lentement, Mary glissa sa main sur le pommeau de son épée, mais Emma anticipa son geste.
— Et gardez donc vos mains au-dessus de la tête. Je vous pointe du canon d’un pistolet. Allons.
Mary obtempéra et lui fit face.
Emma eut sur l’instant l’impression que son cœur allait éclater. Face à elle, Mary la narguait d’un sourire et d’un regard méprisants, comme si, loin d’être vaincue, elle avait espéré cette confrontation.
— Toi ! ne sut-elle que lâcher en baissant son arme. Je te croyais morte !
— Il ne faut pas se fier aux apparences, ma chère Emma, répliqua Mary. N’est-ce pas ce que tu m’as enseigné ?
Le visage exsangue d’Emma s’éclaira d’un pâle sourire. Mary Read était là, vivante, et elle se sentit idiote de ne pas courir pour l’enlacer. Elle risqua un pas qui fit dégainer son épée à Mary et l’immobilisa, troublée.
— Je ne suis pas ton ennemie, Mary, je ne l’ai jamais été.
— Autrefois sans doute, consentit Mary, mais permets-moi aujourd’hui d’en douter. Ce n’est pas moi que tu veux, c’est l’œil de jade.
— Tu l’as encore ?
Mary hocha la tête. Cette simple question lui donnait raison, malgré le trouble dans lequel son apparition avait plongé Emma, et qui malmenait ses traits. Elle savait que le risque de voir surgir Tobias était réel. Elle s’en grisa pourtant, certaine de pouvoir en terminer avec eux, certaine de pouvoir enfin l’affronter et lui faire payer la mort de Cecily.
— Je l’ai, assura-t-elle. Mais j’avoue que je ne comprends pas. Vous croulez, Tobias et toi, sous une fortune indécente et cependant vous êtes prêts à tuer pour ce trésor. Qu’a-t-il donc de si extraordinaire pour qu’il vous rende ainsi, telles des hyènes à l’affût ?
— Tout, Mary. Tout et rien, lâcha Emma, bouleversée par son cynisme. Je t’ai aimée et t’aime encore. Tu étais et demeure ma seule faiblesse. Il m’a fallu survivre à ta perte.
— Cela ne me convainc pas, jeta Mary, impitoyable. Je peux t’accorder le regret de notre complicité et même cet amour dont tu me couvris. Il m’en reste un souvenir heureux. Mais tu n’as toujours pas répondu…
— C’est vrai, avoua-t-elle. Tobias pense que ce trésor dissimule quelque chose de plus précieux, quelque chose qui doterait son possesseur du pouvoir absolu. Je ne l’ai épousé que dans le but de m’en emparer et aussi de te protéger de lui.
Mary ricana.
— En brandissant tes charmes ? Allons donc. Tu m’as offert suffisamment d’arguments autrefois pour m’aider à te connaître, Emma. N’espère pas me tromper aussi facilement.
— Et cependant je ne me débarrasserai pas de lui. Va, supplia-t-elle. Va avant qu’il ne nous surprenne. Rejoins-moi en Angleterre et je te donnerai tout. Y compris mon âme.
Mary la trouva pitoyable. Elle aurait pu s’y laisser prendre avant. Mais Corneille avait su lui offrir autre chose de bien plus sincère et vrai.
— Je suis navrée, dit-elle, je ne partirai pas d’ici sans avoir pris ce que je suis venue chercher.
— Avec moi ou jamais, répliqua Emma.
Furieuse soudain d’imaginer Mary disparaître de nouveau, elle avait relevé son pistolet dont le chien était toujours armé. D’un mouvement souple du poignet, Mary piqua sa lame entre les doigts d’Emma, et l’arme chuta sur le tapis épais. Emma porta la main à sa bouche, l’œil enflammé.
— Ne me force pas à te tuer, Emma, déclara froidement Mary en reculant jusqu’au coffre, l’épée en avant.
— Tu ne le pourrais pas, assura Emma. Je suis certaine que tu m’aimes toujours. C’est mon cœur sinon que tu aurais pointé.
Mary ne répondit pas. La fin de cette phrase se fondit dans le bruit d’un chandelier éteint qui chuta sur le plancher. Maladroitement, Mary venait de le bousculer. Comprenant que le temps lui était désormais compté, elle se précipita pour s’emparer du contenu du coffre.
— C’en est fait de toi, morveux, la nargua la voix de Tobias, à peine eut-elle fait jouer la clé.
Elle se retourna, la rage au ventre, comme autrefois face à son maître d’armes, prête à jouter. Mais elle était trop loin pour reproduire le geste qui
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