Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les valets du roi

Les valets du roi

Titel: Les valets du roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
Vom Netzwerk:
désarçonner par sa violence. Mary comprit aussitôt qu’il prendrait le dessus si elle ne rusait pas.
    Autour d’elle, la bataille faisait rage. Les tambours s’étaient tus, signe qu’ils étaient tombés. L’on ne distinguait plus les drapeaux qui avaient chu dès les premiers affrontements et, dans l’anonymat du sang répandu, les couleurs des uniformes ne leur permettaient plus de discerner l’ami de l’ennemi. Mary n’avait jamais encore vécu d’assaut aussi barbare. C’était une boucherie. Ces Français ne respectaient rien et Niklaus avait donné l’ordre d’user de leurs habitudes et de sectionner le jarret des chevaux pour les fléchir, ce que tout cavalier réprouvait.
    Elle évita la rapière du colosse en s’allongeant contre le flanc de son cheval, se dérobant à sa vue. Elle était plus souple qu’un félin et aussi rapide à griffer. Mary avait puisé dans ses souvenirs : dans la mâture de La Perle, accrochée d’une main aux haubans, se cambrant à droite, à gauche, elle glissait sous une échelle de corde pour s’esquiver et remonter de l’autre côté.
    D’un mouvement réflexe, elle récupéra son poignard et déchira le poitrail du cheval ennemi. Son deuxième coup porta dans la jambe du Français, tandis que, surpris par la douleur, l’alezan se cabrait. Avant que le Français ait pu comprendre ce qui se passait, Mary s’était remise en selle, décidée à en terminer.
    Alors que la bête mortellement touchée s’affaissait en entraînant son cavalier avec elle, Mary décapita ce dernier d’un mouvement sec de l’épée qu’elle avait reprise en main. Aussitôt après, il lui fallut s’éloigner de la tuerie, si exténuée qu’elle en serait tombée à son tour. Elle talonna sa monture et gagna un tertre voisin, qui abritait une batterie de canon. Elle pouvait ainsi laisser croire qu’elle y était envoyée. Elle s’immobilisa à son sommet, englobant la scène dantesque qui se déroulait à ses pieds, le sang battant à ses tempes à les faire éclater. Elle se sentit faiblir, épuisée de combattre ainsi depuis deux bonnes heures sous un soleil de plomb.
    Avril 1697 n’avait aucune pitié. Les hommes non plus.
    En cet instant, elle aurait volontiers donné sa solde contre quelques minutes de répit, à l’ombre d’un châtaignier, bercée par le chant réjoui des oiseaux. La violence des assauts les avait fait fuir. Ne restaient que les rapaces qui tournoyaient au-dessus de la plaine. Mary inspira à pleine goulée. Elle avait peu de temps avant que sa désertion soit remarquée. Niklaus ne pourrait la tolérer. Comment expliquer que, l’espace d’une seconde, elle ait eu besoin de ce fugace sentiment de liberté ? Elle remua ses épaules douloureusement tendues à cause du maniement et du poids de l’épée. Elle s’était tant endurcie et musclée qu’elle en avait perdu toute féminité, mais ce n’était pas encore suffisant sur la durée des combats.
    La bouche sèche, elle récupéra sa gourde de peau et vida d’un trait la rasade de vin qu’elle contenait, avant de la rattacher à sa ceinture. Elle fit encore craquer une à une les articulations de ses doigts, puis les resserra sur le pommeau de son sabre. Dans un cri enfin, elle éperonna son cheval et galopa jusqu’à ce que son âme et son corps soient de nouveau noyés dans la mêlée.
     
    Au soir venu, nombre de ses camarades étaient restés sur cette plaine sinistre.
    A même le charnier, comme chaque fois, les chirurgiens s’activaient, repoussant les charognards qui s’acharnaient sur les cadavres. On emmenait les éclopés sur des brancards ou soutenus par les infirmiers. De loin en loin, des feux s’embrasaient pour rougir les fers destinés à ceux qu’il faudrait amputer sur place, prisonniers d’un chariot ou d’un canon renversé. Le vent lui-même puait, emportant à peine fumées et poussières, auxquelles l’odeur tenace des chairs brûlées viendrait s’ajouter. La plaine entière devenait un théâtre où gémissements et hurlements se mêlaient à l’éternel silence de ceux qui avaient enfin trouvé la paix.
     
    Mary, épargnée une fois encore, avait regagné le campement avec les survivants. Niklaus et Vanderluck en étaient. Ces deux-là aussi partageaient une belle amitié. Malgré son contentement, Niklaus affichait des cernes marqués sur ses traits tirés et blafards. Sa blessure à la jambe avait saigné, rouverte par la fatigue et les chocs

Weitere Kostenlose Bücher