Les valets du roi
achevait de le bander.
— Essaie donc de ne pas te faire tuer. Même si tu es devenu une légende, se moqua celui-ci.
— Une légende ?
— J’ignorais en te sauvant qui tu étais, mais ton nom et tes exploits ont fait le tour du régiment entier.
Mary en resta suffoquée. Immobilisant son geste, l’infirmier demanda, étonné :
— C’est toi, le cinglé ?
— Tu vois, s’amusa Olgersen.
— Je vois, répliqua Mary.
— Il y a même des paris qui circulent sur ton compte. Si j’avais su… dit-il, une lueur mutine dans le regard.
— Bah, glissa l’infirmier. Ce n’est que partie remise. Toi comme lui finirez bien par vous faire tuer. Vous êtes aussi fous l’un que l’autre.
— C’est vrai ? demanda Mary.
Olgersen se redressa, ses soins terminés, et s’étira, révélant un corps musculeux et parfait qui troubla tant Mary qu’elle crut en chavirer.
— Ma foi, conclut Olgersen, inconscient de l’effet qu’il produisait. J’ai quelques aptitudes à te faire concurrence, mais elle est difficile. Et pourtant, à côté de moi, tu as l’air d’un gringalet.
Niklaus, debout, la dominait d’une tête sans difficulté.
— Tiens-toi tranquille quelque temps, Niklaus, si la blessure s’infecte, je serai obligé de t’amputer, gronda le chirurgien, prêt déjà à s’activer ailleurs.
— Ça va, Tire-grenaille. Je sais ce que je fais.
— Comme d’habitude, mais j’en ai assez de te raccommoder.
Mary devina que derrière l’attitude bourrue du chirurgien se cachait une belle fraternité. Niklaus Olgersen était apparemment aussi connu qu’apprécié.
— Faudrait voir à regagner ton unité, dit-il à Mary en refusant la béquille qu’on lui proposait.
Il se dressa et grimaça sous la douleur. L’épaule de Mary, quant à elle, commençait vraiment à la taquiner.
— Allons, viens, Read. Laissons ces charlatans à leur métier.
— Les charlatans t’emmerdent, Olgersen, grommela le chirurgien, l’air faussement vexé.
Ils étaient à peine sortis de la tente qu’Olgersen avouait à Mary :
— C’est mon cousin. Et, pour lui, je suis une vraie plaie !
Mary éclata d’un rire clair. Ce Niklaus Olgersen lui plaisait décidément de plus en plus.
— Y aurait pas une place pour un cadet dans ton unité ? demanda-t-elle.
Il s’immobilisa.
— Pourquoi ? Tu en as assez d’aller à pied ?
— J’en ai surtout assez de me battre avec autre chose qu’une bonne épée. Et puis, si j’en juge par tes capacités et les miennes, ajouta-t-elle, on formerait une bonne équipe. De quoi doubler les mises et ramasser un bon paquet.
— Tu es sérieux, Read ? s’étonna Olgersen en s’arrêtant net à ses côtés.
Mary ne l’avait jamais autant été. Si des paris circulaient, pourquoi ne pas en profiter ? Elle ne changerait rien à ses manières, c’était une évidence, alors pourquoi ne pourrait-elle en récupérer le fruit ? Cela lui permettrait d’augmenter son magot plus vite pour s’en retourner vers Corneille. Olgersen réfléchissait.
— Avec cette foutue jambe, ce serait risqué. Mais ta proposition mérite d’être étudiée.
— En attendant, prends soin de toi, le Flamand, conseilla-t-elle, décidée à regagner au plus tôt son unité pour obtenir un changement d’affectation.
— Toi aussi, l’Anglais !
Il la laissa partir, marcher plus avant lui coûtait. Niklaus était courageux et téméraire, pas stupide ni obstiné. Il regarda s’éloigner le soldat Read.
« Bon sang, se dit-il, ce compagnon-là a plus de couilles à lui seul qu’un régiment entier ! »
26
M algré les remarques de ces hommes qui, ayant eu vent de son exploit, cherchaient à en savoir davantage sur Mary Read, Niklaus ne tira aucune gloire du fait de l’avoir sauvée. Le hasard était ainsi fait. Il y voyait l’heureux présage d’une belle et saine amitié. Niklaus, à l’inverse de nombre de ses compagnons, n’était pas venu à la guerre désargenté et désœuvré. Son père, notaire de métier, lui avait fait donner la meilleure des éducations, tant sur le plan des études que dans le métier des armes, perpétuant ainsi une longue tradition familiale qui permettait ensuite de choisir en toute liberté. Niklaus savait que son père caressait l’espoir de le voir prendre sa succession à Breda. Il s’imaginait mal, quant à lui, croulant sous une somme d’épais dossiers, dans une salle fermée,
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