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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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pour l’éternité ma place au paradis de Djennet, avec ses beautés
surnaturelles, son bonheur perpétuel et son indulgence infinie. Cette perte
m’afflige sincèrement. J’aurais dû vous tuer de façon plus convenable.
    Je dois avouer que ces paroles me coupèrent net toute
envie de pleurer. Nous fixions le tenancier avec froideur quand il se remit à
parler :
    — Mais vous avez vous-mêmes la possibilité de vous
comporter vertueusement à mon égard. Quand je serai mort, ayez l’obligeance de
m’envelopper dans un linceul. Portez mon corps dans la pièce principale et
allongez-le en son centre, dans la position consacrée. Enroulez mon turban
autour de mon visage et placez-moi de façon que mes pieds soient orientés au
sud, en direction de la sainte Kaaba de La Mecque.
    Mon père et mon oncle se regardèrent et haussèrent les
épaules, mais nous fîmes bien de ne rien promettre, car le vieux démon cracha
ainsi ses derniers mots :
    — Quand vous aurez agi de la sorte, vils chiens,
vous mourrez dans la vertu. Car aussitôt que mes frères du Mulahidat seront
venus ici et m’auront trouvé mort d’un coup de couteau dans le ventre, ils
suivront les pas de vos chevaux et vous retrouveront pour vous faire subir le
sort que j’ai échoué à vous infliger. Salââm aleikum.
    Sa voix n’avait aucunement faibli, mais, après avoir
ainsi, de la façon la plus perverse, appelé la paix sur nous, Beauté de la lune
vertueuse ferma les yeux et mourut. Et me retrouvant pour la première fois au
chevet d’un mort, je constatai que les décès étaient aussi écœurants que les
crimes. Car, au moment où il expirait, Beauté, d’une façon en l’occurrence tout
sauf belle, vida copieusement sa vessie et ses intestins, souillant à la fois
ses vêtements et les couvertures tout en inondant la pièce d’une puanteur
insoutenable.
    Cette dégoûtante indignité n’est certes pas l’ultime
chose dont on voudrait que les gens se souvinssent. Mais il m’a été donné
depuis d’assister à maint décès, et, sauf dans les cas où le défunt avait eu le
temps de se soulager peu avant, c’est ainsi que tous les êtres humains font
leurs adieux à la vie. La chose est valable pour les plus forts et les plus
braves des hommes comme pour les plus jolies et les plus pures des femmes, que
la mort soit violente ou qu’ils glissent sereinement dans le sommeil de
l’au-delà.
    Quand nous fûmes sortis de la pièce à la recherche
d’air frais, mon père poussa un soupir :
    — Bon. Et maintenant ?
    — Avant tout, décréta mon oncle, détachant les
lanières qui retenaient ses poches de musc, délivrons-nous de ces
inconfortables pendeloques. Il est évident qu’elles seront tout autant à l’abri
dans nos sacs, en tout cas pas moins exposées, et, à tout prendre, je
préférerais encore perdre ces bourses de musc que mettre en péril les miennes,
auxquelles je tiens tout particulièrement.
    Mon père marmonna :
    — S’en faire pour ses boules, alors que nous
risquons de perdre nos têtes ?
    J’intervins alors, assez gêné :
    — Mon père, mon oncle, je suis désolé. Si nous
devons être poursuivis par les Egarés survivants, alors j’ai eu tort de tuer
celui-ci.
    — Sottise, jeta mon père. Si tu ne t’étais pas
éveillé pour agir avec célérité, nous n’aurions même pas été en position d’être
pourchassés.
    — Il est vrai que tu es impétueux, Marco, convint
oncle Matteo. Mais si tout homme devait s’arrêter avant chaque action pour en
peser une à une les conséquences, il serait un très vieil homme avant d’avoir
accompli quoi que ce fut. Nico, je pense que nous devrions garder pour
compagnon ce jeune homme à la fougue si bénéfique. Plutôt que de le renvoyer
sain et sauf à Constantinople ou à Venise, laissons-le nous accompagner jusqu’à
Kithai. Mais enfin, tu es son père. C’est à toi de te prononcer.
    — Je serais assez d’accord pour te suivre,
Matteo, reconnut mon père. Et il me dit : Si tu souhaites nous
accompagner, Marco...
    Je lui adressai un sourire radieux.
    — Alors, viens avec nous. Tu le mérites. Tu as
bien agi, cette nuit.
    — Peut-être même mieux que bien, ajouta mon
oncle, songeur. Ce bricòn vecchio s’est lui-même appelé le plus égaré de
tous. N’est-il pas possible qu’il ait voulu signifier par ces mots qu’il était
le chef suprême de cette organisation ? N’était-il pas tout simplement le
dernier cheikh ul-Jibal

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